Quantcast
Channel: Zoé Balthus
Viewing all 64 articles
Browse latest View live

Benjamin, la plume à l'envers

$
0
0
Extrait du texte Benjamin, la plume à l'envers de Zoé Balthus - in La Moitié du Fourbi, N°1

Frédéric Fiolof, Hélène Gaudy, Romain Verger, Anthony Poiraudeau du comité de rédaction de La Moitié du Fourbi dont j’ai le plaisir de faire partie et les auteurs du premier numéro : Sabine Huynh, Jacques Jouet, Anne-Françoise Kavauvea, Hugues Leroy, Edith Noublanche, Sylvain Prudhomme, Clémentine Vongole entre autres seront présents jeudi 19 mars 2015 à partir de 19h30 :

A la librairie Atout Livre
203 Bis avenue Daumesnil
75012 Paris

Pour célébrer le lancement de cette revue bi-annuelle dont chaque numéro porte sur un thème qui l'inspire : du côté de la littérature d’une part (auteurs, textes en lien avec le thème) mais aussi en suivant d’autres pistes (curiosités paralittéraires, réflexions, témoignages, reportages décalés).

Le premier numéro rassemble 18 contributions originales liées à la notion « Écrire petit ».

Miquel Barceló: « enfant gâté » sur les pas de Picasso

$
0
0
Miquel Barceló dans son atelier parisien — mai 2015 (c) Zoé Balthus

L’Espagnol Miquel Barceló a inventé ce mot L’inassèchementintitulant l'exposition de 17 grandes et récentes toiles, organisée jusqu’au 31 mai par son nouveau marchand Thaddaeus Ropac dans sa galerie parisienne. L’artiste protéiforme a fait naître des poulpes bleus, des seiches rosées, des pieuvres aux tons vert, jaune, rose et orange, et des poissons au fusain entre des anémones de mer multicolores en hommage à Joan Miró, de Majorque comme lui. 
  
Il peint ses tableaux à plat, les toiles tendues au sol. Elles finissent par ressembler à des étendues liquides, comme des bouts d'une mer impossible à assécher. « A Majorque le climat est si humide que ça met deux fois plus longtemps pour sécher », relève-t-il dans un français, avec un accent ibérique, à couper au couteau, néanmoins charmant. 

Ces oeuvres surgissent dans l’épaisseur de ses pigments qu’il prépare lui-même à Majorque (Baléares) où il est né, a grandi et où il passe encore la moitié de son temps quand il ne travaille pas dans son atelier du Marais, installé depuis 1991. Avant, il avait eu un atelier près des buttes Chaumont. Son histoire avec la France est ancienne. Elle remonte à son initiation. Il ne l'a plus jamais vraiment quittée. En ce moment, il reste-là dans la capitale française à oeuvrer d'arrache-pied, comme à son habitude.

Il explique que le transport des œuvres pour l’exposition a dû être repoussé. « Il y avait une flaque qui séchait millimètre par millimètre plus lentement encore que les autres, raconte-il. Elle concentrait des minéraux, des résidus de mercure, c’était très beau d’ailleurs. Cela m'a donné l'idée du titre, un peu à la Michaux». Il sourit. « J’aime bien Michaux ».  

Miquel Barceló est un érudit, sa culture est phénoménale. Quand il n’est pas attelé à sa création, il est plongé dans les livres, encyclopédies, dictionnaires de symboles, de zoologie, monographies, romans. Une photo de Marguerite Duras, et une autre de Baudelaire sont accrochées au-dessus d'un secrétaire sur la mezzanine à dessin, qui surplombe l'atelieraux grandes toiles. En 1984, sa toile L’Amour fou disait tout de sa passion des livres alors qu'il se peint seul, allongé et nu au coeur d'une immense bibliothèque exhibant une formidable érection. 

Son atelier est en vérité un hôtel particulier qui abrite un dédale de grandes pièces consacrés à des activités spécifiques. Traversée du sombre « cabinet de portraits» comme l'a baptisé son ami et compatriote, l'écrivain Enrique Vila-Matas qui a signé la préface du catalogue de L'Inassèchement. Il a pris la pose pour le peintre qui désigneson portrait adossé à d'autres. Les portraits d'environ 60  x 70 cm se comptent par dizaines et occupent les trois quarts de l’espace, murs compris, du sol au plafond. Ses modèles sont «surtout des amis ». Il les a peints à l'eau de javel sur des toiles préalablement noircies. On peine à reconnaître certaines personnalités célèbres pourtant, comme Agnès Varda ou Patrick Modiano. 

Il les montre chez lui mais ne les a jamais exposés. « Ils font beaucoup trop peur ! », plaisante-t-il. Mais il le penseellement,leur abord est indéniablement lugubre.

Il avait tenté cette technique, la première fois,  afin de peindre le visage d'un ami africain, un albinos de Gao, au Mali, où il a une maison et un atelier depuis de nombreuses années.  Il n’y a pas mis les pieds depuis trois ans, depuis la guerre. Il montre des photos de « sa maison »à flanc de rocher qui domine la plaine ocre.« Regarde comme c’est beau, là, le village, tu vois, et là c’est ma famille. Ca me manque l’Afrique, tu sais », souffle-t-il, la gorge un peu serrée. « C’est pas bon ce qui se passe. Mais j’ai des nouvelles, je les appelle tous les deux ou trois jours. Ce sont mes frères ».

Miquel Barceló se remet à peine d’une méchante pneumonie qui l’a forcé à un séjour à l’hôpital. 

« Là-bas, ils ont fait un sacrifice pour moi, en apprenant que j’étais malade», dit-il, manifestement ému, « ils ont égorgé un animal, tu sais, tout un rituel avec le sang de la bête. Tu vois, ça marche à tous les coups, je suis guéri ». Il prend ces choses-là au sérieux, respecte leurs croyances et leur culture. Il les aime tels qu'ils sont et il est aimé d'eux. Là-bas, il vit comme eux, à leur rythme et apprend auprès d'eux, sur leurs terres, tant de choses, différentes ou autrement

Il a par exemple découvert à Gao que les termites pouvaient être de formidables auxiliaires artistiques, qu'elles étaient douées pour créer de fines perforations en dévorant ses papiers, ses matières ses toiles et autres supports. L'artiste a cherché et trouvé le moyen d'orienter leurs dévorations à son idée. « Je continueà travailler avec les termites, et leur envoie régulièrement de la nourriture », fait-il d'un air entendu.

Une vaste vitrine couvre tout un pan de mur dans laquelle trônent des crânes de bêtes, des cornes, des dentsqui lui servent de modèles, entre autres souvenirs d'Afriqueà l'instar de ses premières céramiques, des têtes réalisées dans les années 80 au Mali, qu'il a lui-même« cuites au feu de paille ». 

Atelier de gravure de Miquel Barceló — mai 2015 (c) Zoé Balthus
Dans cette grande pièce lumineuse, où un squelette humain en résine se balanceà une poutre,il travaille surtout la gravure et le dessin. Il m'entraîne vers un mur où sont accrochés des cornes d’antilopes africaines, une bestiole empaillée, un crâne d'animal mort, et « une très vieille oreille d’éléphant »dont on lui a fait cadeau. « On voit bien que c’est moi, n’est-ce pas ? »Il n'attendnulle réponse. Cet autoportrait exécuté à la pyrogravure le réjouit comme un enfant s'exalte de son premier dessin. « C’est drôle non ? Regarde, ça fait les rides », fait-il en suivant du bout du doigt les traces du temps gravées naturellement dans l’épiderme du pachyderme. J'observe tour à tour son visage et l'oreille, c'est stupéfiant, il est reconnaissable sans y être réellement figuré. Quel sorcier !

Les accidents et les hasards jalonnent son œuvre. Il les apprivoise, les intègre, en fin de compte, il les espère même, ils sont toujours les bienvenus. « L'attention cognitive n’est pas nécessaire à mon travail, je peux écouter un match de foot, un livre audio, de la musique, et continuer à peindre. Je ne peins pas dans le silence. Plus je débranche cette partie rationnelle, mieux ça marche», dit-il en précisant toutefois qu'il ne s'agit pas de l'application du principe surréaliste de l‘écriture automatique. Quand il peint, il ne veut simplement pas entendre sa pensée le guider, lui commander de faire ceci ou cela.

« Parce que c’est là que l’on fait ce que l’on sait faire et moi, ce que je sais faire ne m’intéresse plus», insiste-il. Il aime innover et se tromper en tâtonnant.« C’est une activité physique complète etplus tu fais des erreurs mieux ça marche ».A l'entendre, jepense à Rater mieux de Samuel Beckett, aux considérations semblables d'Alberto Giacometti, celles de l'ami Francis Bacon, bien sûr.

« C'est un peu comme quand tu donnes à un singe un pinceau plein de peinture, et qu'il commence à faire n’importe quoi », s'amuse-t-il. Rires encore. Belle occasion d'évoquer certaines grandes toiles telles que Soledad organizativa, qui représente un grand primate splendide sur son séant,  affichant une sérénité toute souveraine.

Impossible de taire l'émotion éprouvée à la découverte de sa toile Le Déluge qui date de 1990. Sensible au récit que j'en fais, il raconte aussitôt dans quel contexte son tableau a vu le jour. Il venait de peindre une série consacrée au désert, « très minérale à l'image de l’Afrique». Le Délugedevait y mettre un terme, idéale manière d'en finir avec la saison sèche. « Du coup, j’ai inventéla pluie. Au moyen d'une scie, c’était amusant», dit-il fièrement sans livrer pour autant les clés de sa technique. 

« Tout ce que je faisest expérimental » ajoute-t-il, avant d'enchaîner sur «la grande panoplie de sujets » qui caractérise son oeuvre et favorise le renouvellement dont il a tant besoin« C'est l'avantage d'être un peintre figuratif ».

Il se souvient avoir rencontré le plasticien américain Donald Judd, car ils avaient la même galerie à New York.« Il regardait mes tableaux et ne comprenait rien à ce que je faisais». Luis'intéressait à Judd et son travail abstrait depuis son plus jeune âge et le comprenait d'ailleurs parfaitement, raconte-il,« c'était presqueépidermique,il ne pouvait pas accepter que mes tableaux représentent des visages, des yeux ou des mains. Il avait cette logique historiciste interdisantle figuratif».

« Encore une maladie du XXe siècle », cingle-t-il, avant de rappeler qu'il estdans l'Espagne de 1957autrement dit sous le régime fasciste de Franco.« Jeme suis libéré des interdictions. Toujours est-il que je fais encore de la peinture, un truc de vieux quoi ! ». Nous partons d'un autre fou rire. Il hausse les épaules : « Mais je m'en fous ! »

La jeunesse ne s'intéresserait-elle plus du tout à la peinture ? Selon lui, il n’y a presque plus de peinture, « très peu ou plutôt très mauvaise. Mais ça va, ça vient. Comme Dracula, elle ressuscite toujours ! La peinture meurt et boum ça repart ! ». Le propre de toute création est d'être régie par des cycles.

Il m'invite à le rejoindre, à la grande tables’amoncellent des gravures sur le thème récurrent de la tauromachie,à passer les doigts sur la plaque de cuivre rugueuse où une scène de lutte apparaît entre l'animal et le torero, entre l'artiste et l'oeuvre. 
« Les ciseaux à bois, je les utilise sur le cuivre, et ceux à cuivre, pour le bois, j’aime bien détourner les choses… Je travaille chaque jour un peu comme ça, ça marche bien, c’est amusant »
Eaux fortes, aquatintes, pointes sèches, arènes tournoyantes, taureaux noirs face aux matadors qui ressemblent à la mort. « Je sais que la tauromachie est finissante ». Il lâche soudain : « la mise à mort ça fait partie du livre ».  

Il y en a déjà une vingtaine et l'artiste dit envisager de les montrer dans une salle de la Bibliothèque nationale (BNF), lors de l'exposition de mars 2016 qui lui sera consacrée.  

Cette nouvelle série de gravures est de toute beauté. Elle soutient amplement la comparaison avec les scènes tauromachiques des maîtres, ses compatriotes Francisco de Goya y Lucientes et Pablo Picasso dont il reconnaît lui-même l'influence, et le défi audacieux que représentent de tels sujets. Nous nous souvenons ensemble du maître de Malaga, présence constante. Picasso s'est frotté lui aussi toute sa vie à Goya, Vélasquez, Ingres, ou Cézanne.

Comme ces maîtres, Miquel Barceló travaille sans cesse chaque jour jusqu’à épuisement. Il explore de nouvelles techniques. « Je les réinvente ». En besoin de changement perpétuel, il ouvre les champs de sa création. Dans la même journée, il fait tour à tour de la peinture, de la gravure, du plâtre, et dessine dans ses carnets. 
« Je n’ai pas signé de contrat pour faire comme ça bien sûr, mais sinon c’est chiant ».
 En cela aussi, il ressemble à Picasso. Il l'admet volontiers. « Aussi loin que je me souvienne, il a été mon peintre préféré, mon modèleen tout ». Sa sincérité d'enfant fanatique est poignante, d'autant mieux perçue et partagée. 
« Son engagement dans la vie, avec les choses, sa manière d’être au monde, poursuit-il, un véritable engagement physique pas seulement théorique, même politique, si tu veux. Jamais je n’ai cessé de m’intéresser à Picasso»
Miquel Barceló et son autoportrait sur l'oreille d'éléphant — mai 2015 (c) Zoé Balthus
Tout au long du jour,  il passe d’un atelierà l’autre, d’une discipline à une autre. Il se lève vers huit heureset travaille jusqu’à minuit.  
« J’ai besoin d'énormément de temps pour travailler beaucoup. Avec l’âge, je me disais que je parviendrais à travailler plus vite, je croyais que je serais plus efficace, que je ferais en une heure ce que je faisais en une journée. Oui, je travaille plus rapidement mais je fais aussi plus de choses, c’est inéluctable»
Il ne résiste pas au plaisir de dévoiler la maquette d’une grande peinture de 16 m qui « sera terminée à la fin de l’été, pour une fondation » dont il préfère taire le nom pour ménager l'effet.

Il en profite pour m'annoncer son programme à venir. Une grande toile sera exposée au Grand Palais dans l’exposition Picasso Mania, à la rentrée. Et puis, il inaugurera aussi le nouvel espace de la galerie Bruno Bischofberger à Zurich en octobre.

En 2016, il exposera aussi en Amérique latine, au Pérou et surtout au Brésil, à Inohtim, le plus grand musée à ciel ouvert, dans la jungle de Belo Horizonte, où il dévoilera ce qu’il appelle « un dessin infini ». Une oeuvre époustouflantedont j'ai promis de ne pas trahir la teneur et dont il présentera un aperçu à la BNF. Il exposera simultanément  de nouvelles œuvres au Musée Picasso.
« On va voir si j’assume tout ça ou pas  []Miró était de Majorque, mais Picasso, toujours fertile, est mon préféré. Je ne viens pas de Duchamp, même si j’aime bien Duchamp», précise-t-il, avant de revendiquer sa filiation.« Je viens de Picasso, jedescends de cette branche-là ».

On le sait le peintre a été sollicité pour participer à la reconstitution de la Grotte Chauvetau fond de laquelle il a eu le grand privilège de descendre plusieurs fois. Il en a été bouleversé. « C’est une grande merveille, c’est la grande découverte artistique du millénaire », juge-t-il. L'artiste-voyageur a visité pas loin d'une centaine de grottes sur plusieurs continents, dont bien sûr celles de Lascauxet d'Altamira qui ont environ 14.000 ou 15.000 ans. Maisà la lumière de ses différentes expériences, il est catégorique : la fascinante Chauvet n'a pas d'équivalent. 

« C'est le grand chef-d’œuvre, on n’en mesure pas assez l’importance, regrette-t-il, c’est une expression unique, une qualité artistique inouïe de 37.000 ans dont on ne sait rien et ils se trompent sur la façon de l'aborder.  C'est comme s'ils tentaient de décrypter les vestiges Mayas avec la pierre de Rosette ». Et d'ailleurs, il aurait préféré qu'on ne reconstitue pas sa réplique, selon lui, il y aura forcément, un jour ou l'autre, un impact négatif qui en découlera. Il l'a fait savoir. « Bon, au moins on essaie dans l'immédiat de ne pas l’abîmer ».
Il a en outre consacré récemment de longs mois à peindre des tableaux tout blancs, ultra-blancs dont il n’a montré pour l’instant que quelques piècesà New-York où il exposera à l’automne 2016. « C’était comme une espèce de rigueur imposée, un défi que de tenir cela pendant presqu'un an».

Manifestement la période blanche est bel et bienrévolue. Dans l'atelier consacrée à la peinture, au sol couvert de taches multicolores, sous une immense verrière, plusieurs toiles de grandes tailles sèchent aux murs. Retour à vingt mille lieues sous les mers, avec unegrande pieuvre aux tons rosé, jaunes et vert ici, sa jumelle estexposée à la galerie Ropac vendue àplusieurs centaines de milliers d'euros.Des poulpes aux gros yeux globuleux, inquisiteurs même.Et puis, dans un autre registre, une grande bête brune, à cornes, aux traits et aux tonalités évoquant justement une peinture rupestre. 

Il admet être une sorte d'« enfant gâté » qui a toujours fait ce qu'il a voulu, comme il a voulu, quand et partout où il a voulu, tout au long de ses cinquante années de vie d'artiste, prolifiques. 

Je fais mention du peintre américain, Jean-Michel Basquiatdécédé en 1988.«Jean-Michel était mon ami, il a séjourné chez moi à Majorque. On a beaucoup pleuré sa mort, se souvient-il. C’est ma génération, alors c’est un peu flippant quand j'y pense... on était les plus jeunes de la Documenta en 1982 ».   

Ila encore beaucoup trop de choses à faire, il ne veut surtout pas mourir de si tôt. Et de confierle plus sérieusement du monde :« je n'ai pas encore accompli mon œuvre,ce n’est encore qu'un début... ce n'est pas une boutade ». 

Amande douce

$
0
0
Amande douce - Cécile Hug & Zoé Balthus (c) Marie-Laure Dagoit - Ed. Derrière la salle de bains

« Il se débarrasse avec lenteur de ses vêtements. Il lui lance sa chemise blanche qu’elle envoie voler par la fenêtre. Dehors la nature roucoule aussi, les nichées bruissent de toutes parts dans les bourdonnements d’abeilles. Elle rit à pleines dents, avant de mordre ses jolies lèvres. Son regard bleu pétillant ne quitte pas l’homme. Elle suit chacun des gestes qui laissent choir les frusques au sol avec désinvolture, dans la chambre envahie de lumière. Enfin, il l’approche, s’étend à son côté et, toujours avec lenteur, baise le bout de son nez rond, son menton, ses lèvres fraîches. Il prend son temps, les déguste, tout en glissant ses mains sous la robe de crêpe, amande douce. »

Zoé Balthus, in Amande douce,  dessin de Cécile Hug, Ed. Derrière la salle de bains

Aveillan : Chorégraphie de l'éblouissement

$
0
0
Aurélia Ghost # Creatures - Galapagos - 2013 (c) Bruno Aveillan
« FAIRE DE LA LUMIÈRE, PAUVRES GENS, C’EST PLUS DIFFICILE QUE DE FAIRE DE L’OR. » — PAUL CLAUDEL

Les photographies de Bruno Aveillan donnent à contempler une beauté autre, une beauté sidérante à la fois par sa pureté fascinante et par l’effacement même qui menace l’enchantement neuf qu’elle suscite, aussitôt éprouvé. C’est le jeu envoûtant, lumineux, cruel, éphémère, typique de la beauté par excellence. L’indomptable est toujours prompte à disparaître. 
Ivresse de la transfiguration, mouvance perpétuelle, le photographe virtuose fait évoluer la lumière sur l’infinité de variations qui caractérise la richesse incomparable de son registre à l’instar de l’immensité intime qui attend encore bien des images exaltées.
Il met en scène les substances diaphanes qui évoluent sur des mélodies intérieures, et son ballet bruisse de couleurs vivantes, glisse en ondes parfaites le long des silhouettes et des sujets. Chaque rayon convie un germe de rêve irisé, griffe les cieux, caresse un visage, illumine un regard, sublime un bijou, éveille un enfant, appelle une joie.
Grâce à cette époustouflante maîtrise chorégraphique de la lumière, les images de Bruno Aveillan transcendent le réel, avec une harmonie en tout point confondante et partant, donnent lieu à une réflexion nouvelle sur le passage du temps, la relativité des perceptions, la puissance de la mémoire, l’énigme de la beauté.
De Mnemo Lux à Acetate Spirit, de Minotaur-Ex à Papillon, de Kafka à Sandman, de Morpholab Noir en passant par Bolshoi Underground et Isolation Ceremony, des entités mystérieuses jaillissent et se rappellent au cœur des matières, les êtres se métamorphosent avec constance, les identités s’interrogent de concert. Les corps dansent sur des rythmes étranges, se jaugent avec curiosité, s’aimantent avec passion, se repoussent dans la fulgurance de l’instant unique et l‘extase existentielle. Les peaux se réfléchissent de l’autre côté des miroirs, et leurs échos coulent dans la nuit comme des diamants noirs dans l’onde claire.

L’artiste est passé maître dans l’art de l’éblouissement.

ZOÉ BALTHUS (CRITIQUE D’ART ET ÉCRIVAIN) PARIS 2015, Préface, in Flashback, Bruno Aveillan, textes de Marcos Lutyens & Zoé Balthus (Ed. Noir)
Exposition Flashback de Bruno Aveillan, Couvent des Minimes, à Perpignan, du 30 mai au 26 juillet 2015

One real cool hour with Warren Ellis

$
0
0

Warren Ellis - Paris (c) Joël Saget

Warren Ellis is 50, born on Valentine's day. 'I'm Aquarius', he said straight away. Some know what it meansbeing an Aquarius. No wonder... Well, he is a composer, plays violin, flute, piano, guitar and many others to come. 

Some love his tunes for ever and ever, when he plays with Jim Turner and Mike White as the fab Dirty Three, alongside the great Nick Cave with or without The Bad Seeds, or solo as he composed and recorded the soundtrack of Mustang, a French-Turkish movie directed by Deniz Gamze Ergüven
After one hourof a real cool face-to-face conversation with Warren Ellis in a Parisian garden, one could write a book, not on aSick bag, like Nick's one (smile).

Zoé : With Nick Cave, you composed several movie soundtracks. Loin des Hommes de David Oelhoffen this year and now solo, with Mustang. 

Warren Ellis : I was with Reda Kateb (the actor of Loin des Hommes and Un prophète), doing the music for his first movie, a short one titled Pitchoune. I had met earlier Deniz's husband who had said to me she was shooting a movie and was thinking of me for the music. She was pregnant at that stage.

Then when she really asked me, I said 'no', I was busy, but felt sorry because she was not expecting a 'no' and had no one else in mind for Mustang's music. She was then editing the film with her infant. My wife Delphine said :'you should do it'. So I thought if she could do the film with a baby, then I could try to make it too. All I had was a very small window.  'Ok', I said 'let's try to make this'. There again, it was the challenge of failure trying to do something. I really like the challenge when I'm thrown into an unknown world.

Mustang was the first time that I worked on my own. I like this, doing soundstrack, it was an evolution that seemed to happen and I have always wanted to do different things.


Mustang was a real challenge because everything I had done was with Nick, we worked in a certain way together, we have a team, an editor, recorder but this required me to do everything on my own, in that respect was the personnal challenge to achieve this. So when I come back to the band I've got something to bring into it.


So much of my music is with Nick, what we've done together tells obviously about our relationship.
I have been very fortunate with every musical relationship that I had, starting with Mick and Jim, then with Nick and the Bad Seeds, I'm glad they have actually been kind of constant. Twenty-five years that I have been with them and that's really important to me. I'm very much a team player, I like playing with people. I don't have any desire to write lyrics.
Zoé: What is your story with music ?

Warren: I started playing music just by chance. One of a big memory for me as a child was at the local big rubbish dump (the decheterie) in Ballarat (Victoria's state, Australia), where I discovered all this great things like old bicycles parts, motorbikes engines, lawnmowers engines and with all this things, my brother would build motorbikes, and bicycles, it was just a fabulous playground full of treasures and one day I found a piano accordeon in the rubbish dump and I took it at home where I learnt to play with it.

Later somebody at school came to ask who wanted to play violin, a bunch of girls put their hands up, and I put my hand up too. I turn to violin at 10.

It looks like a way to be around girls even if I wasn't particularly interested in girls. I took it up for that reason, I left my hand up.

In secondary school, I turn to flute as well, and I found myself playing a bunch of instruments which didn't belong to the world of music I was listening to, like AC/DC. I grew up as a teenager listening to Black Sabbath and Deep Purple, and the punk rock came along. So I was listening to that music and I was playing Beethoven and had no connection at all with the classical world. This music never spoke to me until I was in my mid twenties. 

I started to play the music that I liked a bit later on in my teenage years, and composed some music when I was in my mid-20's.

Zoé: Have you ever written some lyrics ?

Warren: I used to write a bit but then I realised it was more the idea of writing that I liked. I had a big box of stuff that I wrote and at one stage a girfriend that I had threw everything out and it was probably the best thing that ever happened really. I always felt that I was copying something. I don't write songs.



Zoé: Was music something well considered in your family ?

Warren: My father was playing guitar, he sung country and western songs.
It wasn't his job, his job was working as a printer mechanics in a newspaper. But his passion was playing the songs on his guitar that he had written. He loved Hank Williams. His proudest kind of belonging was his 78 Hank Williams he still owns. He's 82 now. He didn't really like rockn'roll but he loves Hank Williams. 
My Mum loved classical music. For them music was very important; My Dad has a massive records collection, my mum had the radio on all the time. Music was always around, much more than I would play music at home now and I play a lot. It's a simple background and one of the things we had was the radio. Mum had played piano as a girl and flute. They encouraged all of us, my older and young brothers play guitar. 

Zoé: Were you thinking of having a career like the kids often dream of... being a doctor or ... 

Warren: No, I really never had a path. I didn't even thought that music would be a profession. I had no path. None. There was a point in my school years where I thought about being this or this. I had a vague idea of becoming a plumber at one point. 

Because I grew up in a working class area, all my friends left school and became carpenters, or things like that, well, workers. My parents believe that education was really important. I come from a very poor background. I won this scholarship. My dad said to me that knowledge was very important, that  I had this possiblity to get out of where I was.

I did win a scholarship. I went to university and I studied music, English, mathematics because I didn't know what else to do. I didn't want to be locked in a job, I went to Melbourne to the city, I finished that degree there and I went on trip to Europe in 1988, and burst in the streets, in Ireland and in Scotland, and across Europe, to Hamburg, Italy and Hungary, just playing in the streets with musicians that I met. 

This launched an idea that may be this was something I would like to do. In my early twenties. I teached in a secondary school but I knew I didn't want to see myself at sixty doing that. In 1990, I left with a friend and my violin in a pickup. My brother gave me a guitar pedal and I remember that I was doing something that made me feel good. Then, it developped very quickly, I was playing with five different bands. Then in 1994, Nick Cave came on tour with Dirty Three up the coast of Australia and said 'you want to come on tour with us?. 

It was a tour in America. It was then when I left and never went back to Australia to live. I go back every year to play and see my family. Eventually I moved to London but I toured non stop. Dirty Three went to America, we found an agent and it became what I was doing with my life but it was not a conscious decison and it just kept evolving.

Zoé: do you know what you parents think of your work ?


Warren: I never asked them. My father is proud. He listen and follows what I do. I think that also for him, it was a dream he never fullfilled, he had this pile of songs in the cabinet, he recorded one record himself and he had practised to autograph. I guess I fullfilled the dream of my father. On paper it would look like that, but he never said that. It was his hobby, he had a passion for it. If he had been a success, I would have probably been a plumber. (Laugh) It might have been great too. It's funny.

It's never been the money or success anyway. I'm very grateful to provide for my family but it's never been about that, it's a personnal kind of endeavour. I was a listener of music, I love to listen to music and where it transported me. I would have never dreamt that would be a composer or a musician. I always love being transported, being taken to places by the music. It took me out of the real world, it is important.

Zoé: Aren't you satisfied with the real world ?

Warren: I guess I'm not. Well, music it's like cinema, for two hours you're out of the real world. You can't be out of it all the time.

Being in a band, in bus touring, taking drugs, all that stuff was fabulous at 20. I still like sitting up until 2 or 3 in the morning. It's always been a way of escaping at least as a listener. As a composer, there is a moment in the discovery process like I engage myself in the way that I would as a listener, I feel like I'm being transported somewhere. The discoveries are the great moments. 

The act of creation is that's what it is, I suppose. It can be a disaster. But You don't get anywhere without stepping off the edge. You don't get anywhere unless you take a risk.  That's why I'm afraid of failure. It's the thought of failure that makes me want to succeed. It pushes me to try. May be it is linked to the upbringing where you have to prove yourself. Fear of failure, I'm not sure. 


Zoé: Are you religious ? I ask because I can see a silver cross around tour neck... among a lot of other things...

Warren: The chain around the neck, well, I like the image of the cross, but I'm not religious. I like the idea of a greater force though, and I like the stories in the Bible, it 's fabulous. I would be lying if I said I was religious in that sense. I had periods where I thought I might have been. I belong to the Church of England. But I can't believe, the world is too full of cruaulty. But may be it is the way it is meant to be.

I just like jewellery. I bought that ring jetlagged in San francisco China Town, I payed a fortune for it, that what happens (laugh), this one in Brussels, I just like rings, I like the red colour of this one. That one is white gold. That one, white gold and diamonds. The yellow gold one is my wedding ring.

Zoé: What are the vices you hate ?

Warren: Jealousy and envy that's what I hate. It is so hard to control. You don't even realise that it grows,  it is very destructive, one has to watch that one, like a cancer, it's poisonous, roten. Totally useless. C'est pourri !

Zoé: and your favorite values ?

Warren: Loyalty is important. Admiration and humility. It's important to accept when you're wrong. I'm actually pretty kind, I don't try to present something that I am not. I am what I am. I don' t pretend I don't see the point. It's like lying. I like transparency. I still don't have my dose of wisdom that everybody seem to say you get but I like this certain things that seem to dissipate when you're getting older. 
    
                                 
                                  

Rodin : dessin, passion, danse et volupté

$
0
0

Auguste Rodin et Eve - 1907 - Autochrome  Edward Steichen

Si les premiers dessins d'Auguste Rodin (1840 - 1917) s'inspirent de thèmes littéraires et religieux dans lesquels les héros, lasouffrance et la fauteoccupentune placeprédominante, peu à peu il s'affranchit de ces figures traditionnelles et demande à ses modèles de s'abandonner à la grâce du mouvement et à la nudité. A partir de 1890, la figure féminine est devenue omniprésente, pour ne pas dire l’unique objet de sa préoccupation, et dominera l'essentiel de son oeuvre jusqu'à la fin. 


L’artiste, à 24 ans, vient de se mettre « à la colle » avec Rose Beuret, une paysanne de quatre ans sa cadette qui tente sa chance à Paris et lui sert de modèle, puis peu à peu de régisseur de son travail et de son quotidien. Elle lui est toute dévouée.« Elle s’est attachée à moi comme une bête », confiera-t-il bien des années plus tard à l’une de ses modèles.

En 1866, Rose lui avait donné un fils Auguste-Eugène Beuret qu’il n’a jamais reconnu. Puis le temps a passé. Il a mis en branle son chantier de La Porte de l’Enfer, dans son atelier du Dépôt des Marbres qui lui est alloué par l’Etat au 182, rue de l’Université. Il est un maître d’atelier désormais. 

Un jour de 1881, une jeune fille de dix-sept ans vient frapper à sa porte. Elle veut continuer à étudier auprès du maître, alors qu'elle sort à peine de l’académie Colarossi. Elle est recommandée. Lui, qui a grand besoin de bons praticiens, l'engage aussitôt. Il vient tout juste d'achever le groupe Les Bourgeois de Calais.  

L’élève Camille Claudel se révèle douée, exaltée, vive, sincère, et chamboule l’existence du maître Rodin bien qu’absorbé par son grand œuvre. Bientôt, entre eux s’instaure une collaboration intense, fructueuse et passionnelle, d’abord centrée sur la sculpture, puis Cupidon se charge de décocher ses flèches dans le cœur des deux artistes qui deviennent amants. 

Devenue à la fois, praticienne, modèle, muse, maîtresse, conseillère, la jeune Camille inspire Rodin dont l’œuvre connaît alors une fécondité de plus en plus marquée de cette empreinte tandis qu’elle, malgré sa jeunesse, apprend de lui mais sait se montrer volontaire et tenace. A bonne école et sûre de sa vocation, la jeune Galatée n’a de cesse de travailler, de tailler la pierre et le marbre, venu de Paros et de Carrare. Cette femme de génie, selon les mots de l'écrivain Octave Mirbeau et grand admirateur de Rodin, pense sa propre voie, veut bâtir une œuvre dont elle a une vision précise, guidée par la volonté farouche de s’affranchir de son Pygmalion. 

« Rodin, qui tout de suite a reconnu en elle la future grande artiste, ne la considère que comme telle. Sans doute il lui communique tout ce qu’il peut lui communiquer de sa grande expérience.  Mais il la consulte elle-même sur toute chose […] Le bonheur d’être toujours compris, de voir son attente toujours dépassée a été, dit-il lui-même, une des plus grandes joies de sa vie artistique », témoigne Mathias Morhardt, critique d’art, admirateur de la jeune artiste. 

Elle est parmi les plus grands bonheurs de sa vie d’homme aussi, ayant débridé sa sexualité. Avec elle, l’érotisme pénètre toute son œuvre. Camille est la présence sensuelle, son corps est partout. La jeune femme est son paradis intime, la volupté essentielle à sa créativité, d’importance capitale désormais. 

Les beaux traits de Camille Claudel personnifient bientôt L'Aurore, La Pensée, La France, La Jeune Guerrière etc.   

Possédé par l’esprit et le talent de la jeune femme avec laquelle il a tant en commun, il délaisse, sans scrupule, Rose qui n'oserait se plaindre. Toute sa vie, elle lui a connu des aventures. Rodin, jusqu’à la fin lui conservera « une reconnaissance profonde de sa fidélité de chien de garde, de sa patiente acceptation des mauvais jours […] », selon son amie et première biographe Judith Cladel. Il épousera Rose deux semaines avant que la mort n’emporte celle-ci, en février en 1917. Mais il choisira Camille pour compagne éternelle aux yeux du monde entier en exigeant que ses créations soient abritées aux côtés des siennes dans son musée.  

Profondément épris de sa féroce amie, Rodin n’a de cesse de lui tresser des couronnes de louanges. « Je lui ai montré où elle trouverait de l ‘or ; mais l’or qu’elle trouve est bien à elle »,  souligne-t-il.

En 1888, il lui loue pour les dix ans à venir un atelier au 113, boulevard d’Italie et dont il se rapproche bien vite en louant un hôtel particulier à quelques encablures.Le couple vit encore une décennie d’une relation intense, charnelle, passionnelle. L’émulation réciproque fait naître des œuvres respectives pleines d’émotion et de sensualité, de force et de mouvement.  

« La belle artiste, coeur entier, absolu, ne jugeait pas suffisante la situation de disciple aimée et admirée. Elle voulait devenir l'unique objet de l'affection du maître et la compagne de sa vie intime, raconte la confidente, Judith Cladel. Ce fut alors la période des grands déchirements.»

En effet, c’est la descente aux enfers en raison sans doute de la tragique dégradation de la santé mentale de la sculptrice. Profondément affecté par la rupture, Rodin conservera longtemps le coeur vacillant, selon les mots de son amie.
Femme nue sur le dos - 1900 - Auguste Rodin
Cependant, Camille Claudel internée, Rodin poursuit son œuvre et reste à l’affût, guette la vie, le geste, l’expression, l’attitude fulgurante qu’il s’empresse de croquer de sa main souple, agile, entraînée. Il modelait la terre, avec la même aisance qu’il maniait le crayon. 

« A mes débuts quand je faisais venir un modèle, je lui demandais dans quels ateliers il avait posé. S’il sortait de l’Ecole, ah ! Je m’en apercevais tout de suite, dès qu’il était monté sur la table à modèle, je le voyais prendre un de ces mouvements qu’il avait appris là-bas, et ce mouvement, invariablement, était faux ».
Il laissait ses modèles bouger, selon leur gré et les dessinait. A l’opposé de sa quête de vérité universelle, les poses figées et convenues lui paraissaient insupportables. Il parlait de « modèles usés », prenant la pose comme des automates, dénués de vie. Il scandalise en foulant les règles académiques. 

Le maître dessinait avec une extrême rapidité, se souvint Kathleen Bruce, une Anglaise qui avait un temps fréquenté l’atelier. Elle s’émerveillait de le voir travailler sans jamais quitter son modèle des yeux, sans regarder sa feuille de papier. 

Rodin ébauchait les profils qu’il reliait entre eux. Il soutenait qu’avant de dessiner sur les plâtres, il fallait dessiner sur les feuilles : « j’ai été dessinateur avant d’être sculpteur ». Le dessin avait exercé le geste et l’œil. Et surtout, il scrutait le mouvement qui seul pouvait donner vie et harmonie à une sculpture. 

« La chose qui bouge dans la nature, c’est le professeur qui vient et vous explique. », s’enflammait-il, « C’EST LA VIE QUI BOUGE, c’est le vrai ça, c’est le divin, l’éclair qu’il faut fixer. » 

La danse, corps et esprit en osmose, à elle seule, évoque tout de la vie et de la mort, fusionne mouvement et érotisme,  exacerbe l'émotion et le sentiment, fait résonner la nature et sa vérité qu'il transpose dans ses dessins et sa sculpture sans relâche et, avec toujours plus de liberté et d'ouverture d'esprit, au fur et à mesure qu'il avance en âge.  

Comme les danseuses javanaises que Rodin avaitdécouvertes à l’exposition universelle de 1900 à Paris l’avaient ébloui : 
« Ces merveilleuses princesses ont renouvelé, avivé, décuplé en moi mes impressions anciennes. Elles m’ont donné une joie dont je ne me croyais plus capable. Elles ont fait vivre pour moi l’Antique. Elles m’ont montré, dans la réalité frémissante, ces beaux gestes, ces beaux mouvements du corps humains que les anciens ont su fixer. Elles m’ont tout à coup plongé dans la nature, elles m’en ont révélé des aspects inconnus, elles m’ont fourni des raisons nouvelles de penser que la nature est une source intarissable […]  imaginez donc de ce que put produire en moi un spectacle aussi complet, qui me restituait l’Antique en me dévoilant un mystère ! »  Il se délectait de les dessiner. 
« Ce sont des figures de marbres conçues par Michel-Ange qui dansent ! », s’était-il exclamé. L’artiste italien était sa référence au même titre que les Antiques. Les danseuses cambodgiennes avaient touché pareillement le sculpteur :


Danseuse cambodgienne de face - 1906 - Auguste Rodin

« Elles  nous ont donné tout ce que l’Antique peut contenir, leur Antique à elles, qui vaut le nôtre. Nous avons vécu trois jours d’il y a trois mille ans. Il est impossible de voir la nature humaine portée à cette perfection. Il n’y a eu qu’elles et les Grecs. Elles ont même trouvé un mouvement nouveau, que je ne connaissais pas […] Un mouvement encore à elles, inconnu dans les Antiques et de nous autres. » 
Rodin  qui allait au spectacle voir les corps bouger sur scène, s’était trouvé captivé par l‘étoile chorégraphe des ballets russes, le scandaleusement lascif Vaslav Nijinski dans Prélude àL’Après-midi d’un faune :  

« D’une animalité à demi consciente: il s’étend, s’accoude, marche accroupi, se redresse, avance, recule avec des mouvements tantôt lents, tantôt saccadés, nerveux, anguleux. »

De fait, le Russe accorde des séances de pose au sculpteur qui en saisit l’élan, la grâce et la puissance. Il est stupéfiant. De même, en 1911 la danseuse américaine Isadora Duncan l’avait subjugué, d’autant qu’elle était du beau sexe.« Isadora Duncanest arrivée à la sculpture, à l’émotion, sans effort, dirait-on. Elle emprunte à la nature cette force que l’on n’appelle pas le talent mais le génie […] Elle rend la danse sensible à la ligne, et elle est simple comme l’antique qui est le synonyme de la Beauté » avait rapporté Rodin, expert.

De son côté, la danseuse américaine avait été littéralement envoûtée par le sculpteur dont elle évoquait ainsi le souvenir :


« Depuis que j’avais vu son œuvre à l’Exposition [universelle], le génie de Rodin m’avait poursuivie. Je me dirigeai un jour vers son atelier de la rue de l’Université. Mon pèlerinage à Rodin ressemblait à celui de Psyché cherchant le dieu Pan dans sa grotte, et si la route que je demandais n’était pas celle d’Eros, mais celle d’Apollon.

Rodin était petit, puissant, avec une tête tondue, une barbe abondante. Il me montra ses œuvres avec la simplicité des très grands.  Quelques fois il murmurait un nom devant ses statues, mais ces noms on le sentait avaient peu de sens pour lui. 

Il passait ses mains sur elles, il les caressait. J’avais l’impression que sous ses  caresses le marbre s’amollissait comme du plomb fondu. Il respirait avec force. Le feu s’échappait de lui comme d’une forge. En peu d’instant il avait formé un sein qui palpitait sous ses doigts. »
Dans l’atelier de la danseuse où ils s’étaient ensuite rendus ensemble, elle avait dansé pour lui. Puis elle s’était mise à lui parler de ses mouvements, mais lui semblait devenu sourd et muet.
« Il me regardait de ses yeux brillants sous ses paupières abaissées, puis, avec la même expression qu’il avait devant ses œuvres, il s’est approché de moi. Il passa sa main sur mon cou, sur ma poitrine,  me caressa les bras, passa ses doigts sur mes hanches, sur mes jambes nues, sur mes pieds nus. Il se mit à me pétrir le corps comme une terre glaise, tandis que s’échappait de lui un souffle qui me brûlait, qui m’amollissait. Tout mon désir était de lui abandonner mon être tout entier, et je l’aurais fait avec joie si l’éducation absurde que j‘avais reçue ne m’avait fait reculer, prise d’effroi. »
Nul doute que le vieux Rodin l’aurait volontiers croquée mais la dame effarouchée congédie prestement ce diable d’homme.  

Temple de l'amour - 1916 - Auguste Rodin
Il fait voler en éclats les conventions bourgeoises, il abat les barrières soi-disant morales, s'affranchit des tabous ridicules soumettant les artistes à une dictature hypocrite qui n'a que trop longtemps duré. Dans ses dessins, les femmes mises à nu désormais s'enlacent, se chevauchent, s'explorent seules ou à plusieurs, s'ouvrent amplement au regard de l'artiste et de ses admirateurs. Femmes allongées, nues sur le dos, jambes écartées, main au sexe, elles se caressent, se fouaillent en quête de plaisir, se tordent de désir, onanisme, amour saphique, la sexualité et la jouissance féminines ne se cachent plus, elles s'admirent. Ses dessins parés de passion enflamment et ravissent tout esprit créateur. Pourtant nulle vulgarité ni crudité, seule la vérité s'étend sur ses feuilles pour s'accoupler à la beauté des corps, comme autant de temples à l'amour, qu'il saisit avec maestria en quelques coups de crayon. Le scandaleux Rodin contribue à briser les chaînes qui entravent l'épanouissement de l'art, de la femme et partant, de la société de son époque ainsi qu'il le dit si bien lui-même :
« Et la danse qui a été chez nous toujours un apanage érotique, tend enfin de nos jours, à devenir digne des autres arts qu'elle résume. En cela, comme en d'autres manifestations de l'esprit moderne, c'est à la femme que nous devons le renouveau.» 
Métamorphoses Dans l'atelier de Rodin, sous la direction de Nathalie Bondil avec Sophie Biass-Fabiani (Ed. 5 Continents & Musée des Beaux-Arts de Montréal)
Rodin Aquarelles et dessins érotiques (Ed. Bibliothèque de l'image)
Rodin sa vie glorieuse, sa vie inconnue, Judith Cladel (Ed. Grasset) 

Les trahisons terrestres de Marina Tsvétaeva

$
0
0
Les Trahisons terrestres de Marina Tsvétaeva— Extrait
Frédéric Fiolof, Hélène Gaudy, Romain Verger, Anthony Poiraudeau du comité de rédaction de La Moitié du Fourbidont j’ai le plaisir de faire partie et les auteurs suivants, avons contribué au numéro 2 consacré à la notion Trahir

Frédéric Forte / L’œil de l’Oulipo : 99 notes préparatoires à la trahison Sarah Cillaire (texte), Anne Collongues (photographies) / Des Inuits aux Batignolles Romain Verger / Efface-moi, je t’en prie Hélène Gaudy/ Vies de Kurt Gerron Alain Giorgetti / Pardonne pas (Sept roses rouillées à la mémoire de François Mitterrand) Joseph Vimont (1795-1857) / Le parricide Martin Zoé Balthus / Les trahisons terrestres de Marina Tsvétaeva Clémentine Vongole / Elles veulent jouer avec vous Jean-Yves Jouannais / La très grande vadrouille ou ce par quoi, dans la guerre, Hans Reiter se sentit trahi Frédéric Fiolof / Le roi est nu Guillaume Duprat / Topologie de l’Enfer et localisation des traîtres dans la Divine Comédie (textes & dessins) Hugues Leroy / Ma voix n’est plus la mienne Anthony Poiraudeau / Aussi bien que les autres Marie Cosnay / Grande bouche belle gueule aux yeux de génisse La moitié du fourbi / Conversation avec Geoffroy de Lagasnerie Anne-Françoise Kavauvea / Aharon Appelfeld : trahir sa langue Nolwenn Euzen / Marche ou rêve (photographies & textes)

La Moitié du Fourbi sera présente au Salon de la Revue qui se tiendra à la Halle des Blancs Manteaux dans le Marais à Paris, les 9, 10 et 11 octobre prochains.

Une rencontre sur le thème de Littérature et hybridité sera animée par Frédéric Fiolof, avec les écrivains Alessandro Mercuri, Anthony Poiraudeau et la revue Le Chant du Monstre. Elle aura lieu dans la salle Henri Poncet de la Halle des Blancs Manteaux, de 15h30 à 16h30, le samedi 10 octobre.
 
Par ailleurs, la librairie parisienne Le Comptoir des mots organisera une soirée le 13 octobre avec quelques auteurs de la revue à l'occasion de la sortie de ce deuxième numéro : En savoir plus sur cette rencontre au Comptoir

Le Comptoir des Mots
239 rue des Pyrénées
75020 Paris

Rodin, divin paria

$
0
0


L'éternelle idole – Vers 1890 -1893  – Auguste Rodin
« Rodin lui-même a dit un jour qu’il devrait parler pendant une année pour répéter en paroles une de ses œuvres »  
Rainer Maria Rilke, in Auguste Rodin

L’œuvre de tout sculpteur une fois achevée est un objet massif à trois dimensions parmi d’autres objets, apparu dans un monde qui ne l'avait pas réclamé et n'a pas prévu sa place. La sculpture a besoin de trouver son lieu, doit installer quelque part sa solitude exemplaire. Le sculpteur est donc bien l’artiste qui isole, en faisant jaillir un corps humain de l’univers des choses. 

Les sculptures ont aussi peu leur place dans la société que les artistes eux-mêmes, déchus au rang des divins parias. Et, puisqu'il n’existe pas de lieu pour ses sculptures, Auguste Rodin a toujours dû laisser ses œuvres en dehors du monde, l'habitude de les créer pour la nature est prise depuis longtemps. Et quand en 1900 a lieu l’exposition universelle, n’y ayant pas sa place, il organise dans un pavillon à une centaine de mètres de là sa propre exposition mondiale, dite de l’Alma. Rétrospective de son oeuvre qu'il finance lui-même et distingue ainsi de toute autre, il se maintient plus que jamais sciemment en marge.

Rilke avait alors déjà montré dans son texte Auguste Rodinque sa sculpture n’était d’aucun lieu, qu’elle appartenait à un entre-monde de qualité supraterrestre plutôt que manifestation d’une anomalie.

Sa sculpture bouleverse les codes esthétiques de l'époque, à l'instar de L’homme qui marche, ce corps sans tête, sans bras, qui dérange. Son Non finito donne l’impression que ses sculptures étaient cassées, ratées, inachevées, ou vouées à la destruction, et rescapées d’un destin maudit.

Ses créatures qui surgissent du marbre, presque encore à l’état brut, trouvant ainsi d’emblée le socle parfait, naturel semblent être le produit d’un magicien, comme si le sculpteur s’était contenté de dégager des corps pris au piège au cœur des blocs de pierre.

Rilke soutient que ses statues disent ainsi quelque chose de tout à fait exceptionnel, de l’ordre du manifeste. Elles se revendiquent autres, singulières, affirment leur origine alternative, se moquent de l’approbation des académiciens et autres critiques, ni d’aucun censeur, devancent même les outrages du temps, des éléments, des pilleurs, en même temps que leurs amputations affirment leur évidente parenté avec les antiques, s’inscrivent dans leur lignée avec fierté, défiant toute l'époque contemporaine.  

« Il ne leur manque rien de nécessaire. On est devant elles comme devant un tout, achevé et qui n’admet aucun complément, juge Rilke, le sentiment d’inachevé ne provient pas seulement de la vue, mais d’une réflexion compliquée, d’une mesquine pédanterie qui nous dit qu’un corps a besoin de bras et qu’un corps sans bras ne saurait être entier, ou ne saurait l’être en aucune façon. »

D’évidence, Rilke prêche pour sa propre paroisse en tentant d’affranchir les artistes des carcans académiques, ces entraves inutiles et, a fortiori, néfastes à la perception, la réception, l’épanouissement mêmes de la création.

Les sculptures de Rodin étaient en outre conçues « sans abri ». Et c’est par ce caractère désespérément sans abri, sans protection, sans compassion, par sa lutte incessante pour surmonter ce destin ouvert à tous les outrages, cette lutte dont il sort toujours vaincu, que le sculpteur est incomparablement supérieur à ses contemporains qui ne produisent que « des anecdotes décoratives », de simples choses qui ne disent rien, ne tentent rien, ne risquent rien, des choses de rien du tout.

Rodin lui crée ses propres architectures comme des abris. Tout a un sens. Il n’y a rien de superflu. Il fait communier son oeuvre avec la nature même qui, à sa manière, ne manque jamais d’y apposer, tôt ou tard, sa propre griffe.

Bien sûr le plus extraordinaire de ses abris est La Porte de l’Enfer. Magistrale foule de damnés qui a trouvé son refuge comme des naufragés, entassés dans une barque perdue au milieu de l’océan, sains et saufs, jouissent de respirer pour un temps. Cette construction dans l’espace ouvert ne mène nulle part, elle est un pur semblant. 

Il ne s’agit pas d’une composition, Rodin n’a pas projeté cet ensemble. Chaque figure est venue au monde, avec spontanéité en tant qu’être absolu, fatalement seul. C’est ensuite que chacune se retrouve, pareille à toutes les autres, détenue au sein de cette Porte de l’Enferoù, rassemblées de la sorte, elles forment alors une communauté errante. 

Une autre façon inventée par Rodin pour offrir un abri à ses sculptures a été l’invention d’un « geste sacré », remarque Günther Anders. N’importe quelle autre sculpture de son époque est toujours en activité en train de faire quelque chose et au minimum se contente de se montrer debout, le modèle ne se laisse pas oublier, il demeure là en pose. 

La sculpture de Rodin, elle, ne fait rien. Elle laisse le corps dire, parler et sa parole est pleine de mélancolie et de cette intensité que l’on devine comme la frustration et le désespoir de l’animal condamné au mutisme, qui ne peut pas parler. Eloquente malgré sa condition. Elle s’exprime, c’est tout,  pour personne, elle communique, sans viser personne. Elle prie sans dieu. Rodin se distingue dans cette expression sans destinataire. 

A cette époque, seule la danse moderne compose de tels gestes purs, presque narcissiques dont Isadora Duncan, Mary Wigman sont les figures glorieuses. Les danseurs semblent donner sans personne pour recevoir, semblent porter… des objets sans poids ; demander mais à personne, aimer mais sans bien-aimé. Le geste qui s’adresse à l’invisible, se pare d’un caractère sacré, voire religieux et brise l’isolement, le personnage gagne en importance,  s’enveloppe d’une aura singulière et mystérieuse, il est permis de croire dès lors en son destin. Le personnage ne fait pas de geste, il est lui-même le geste. Avec L’Homme qui marche, Rodin révèle ce qu’est marcher et non ce qu’est un marcheur, souligne Anders. 

Comme le remarque pour sa part Rilke, le mouvement n’est pas nouveau dans les arts plastiques en général ni dans la sculpture en particulier.  Mais ce que cherche Rodin tel qu'il le déclare lui-même : 
 « C’EST LA VIE QUI BOUGE, c’est le vrai, c’est le divin, l’éclair qu’il faut fixer ».

Et son œuvre est d'autant plus frappante qu’il parvient à rendre la mobilité singulière des gestes qui paraît naître de l’intérieur même des choses, au point de parvenir à l'illusion même d'un pouls battant. Le poète lui explique le phénomène par le jeu que le sculpteur parvient à introduire entre la matière la lumière :

« Nouvelle n’était que l’espèce de mouvement à laquelle est contraint la lumière par la complexion particulière de ses surfaces dont les inclinaisons sont si souvent modifiées que tantôt elle coule lentement et tantôt se précipite, tantôt elle apparaît profonde, tantôt guéable, miroitante ou mate. La lumière qui touche une de ces choses, n’est plus une lumière quelconque ; elle n’a plus de mouvements dus au hasard ; la chose prend possession de cette lumière et s’en sert comme d’un objet à soi. […] Et n’est-il pas étrange de voir avancer la lumière sur le dos étendu de la Danaïde, lentement comme si elle progressait depuis des heures ? »
Rodin poursuit sans relâche l’exploration, quasi scientifique, du corps humain, élabore une panoplie d’éléments d’existence, qu’il renouvelle sans cesse. Tout se transforme avec constance, d’un membre à un autre, d’une position à une autre, le maître des métamorphoses renouvelle figures et gestes, éternels et sacrés.  

Cogitation issue de la lecture d’un texte méconnu, et rare en français, du philosophe Günther Anders – La Sculpture sans abri, Etude sur Rodin (Ed. Fario). Un petit délice éclairant.

NYC, U and me

$
0
0
NYC yellow cab — octobre 2001 (c) Zoé Balthus


L’été indien, en cet an 01, commençait bien. L’azur du ciel ensoleillé étincelait sur l’acier vert d’eau de la Mustang décapotée, aux sièges brûlants, d’un cuir plus tout à fait blanc. L’automobile filait depuis quelque temps le long de l’asphalte flou de l’Highway 95. Nous avions quitté dans la matinée les rives rousses du Potomac, bordant Washington D.C, et avions emprunté de petites routes en direction du nord. L’itinéraire demeurait imprévu. Il était celui de deux amoureux au bonheur insolent, libres comme l’air chaud qui s’engouffrait sous ma chemise de lin clair, caressait mes seins nus et rendait ma chevelure folle. Nous étions prêts à emprunter tous les chemins de traverse qui appelleraient notre désir au gré des éléments tourbillonnants, imprévisibles, la couleur des nuages, la saveur du temps, les reflets de l’espace et les grains de folie, que le hasard ou la fatalité sauraient semer sur notre poétique passage.

L’idée était de poursuivre le long de la côte Est que nous remontions depuis quelques jours. Nous roulions ainsi au petit bonheur la chance depuis Fort Lauderdale en Floride, sans jamais oublier d’aller embrasser l’océan de temps en temps. Un peu plus tôt, nous nous étions ainsi arrêtés sur la plage de l’inhumaine station balnéaire Atlantic City. Déçus, nous sommes remontés à bord de notre fougueux bolide, avons roulé le long de l’eau en quête de la rive sauvage idéale. Nous l’avons découverte notre petite crique désertique et avons plongés, nus, dans le courant de ses vagues fraîches. 

(...) To be continued


In NYC, U and me, Zoé Balthus, Les éditions Derrière La Salle de Bains

Paul de Pignol : Incarnations

$
0
0

Ces bras qui m'encombrent II - 2006
bronze
- Paul de Pignol (c) Yann Fravalo Riopelle

La Mélancolie de la chair
Zoé Balthus

Splendides tragédiennes, femmes insomnieuses, filles des meurtrissures séculaires, érigées dans la lumière, d’une beauté sans visage, sauvage et parfois menaçante, toutes extraites du dedans, toutes d’origine primitive, issues de lésions intrinsèques.

Apparitions victorieuses pourtant, aux allures de Parques, aux ventres bombés, hanches généreuses, porteuses de vie et d’espérance, cernées de ténèbres irrémédiables, adversaires implacables de la résurrection. Ces dames bruissent, elles chuchotent, certaines chantent, rient ou soupirent, quand d’autres pleurent et expirent dans le noir. Chacune appelle et s’exprime en un langage pur et majestueux, ancré dans les tréfonds de l’être, qui se rapproche de la vérité la plus crue, l’émotion même, proche de l’agonie ou de la jouissance parfois.
[...] 

in Incarnations, un livre de Paul de Pignol, Sculptures & Dessins, Textes de Zoé Balthus & Antoni Casas Ros (Ed. Galerie Lanzenberg, Galerie Mézières, Galerie Koralewski)

Parution lors de l'exposition Incarnations  de Paul de Pignol, du 28 janvier au 12 mars  2016 à Bruxelles Galerie Fred Lanzenberg


Le rose aux joues

$
0
0

Portrait de femme — IIe siècle, Fayoum — Musée du Louvre © Zoé Balthus





La moitié du fourbi prépare son premierSalon du Livre de Paris, qui se tient du 17 au 20 mars 2016 Porte de Versailles, où quelques membres du comité de rédaction seront installés sur le stand des éditeurs indépendants de la région Ile-de-France (1-G69). Ce sera l'occasion de présenter notre jeune revue et de lancer le N°3dans lequel près d'une vingtaine d'auteursse concentre sur le Visage.

La solitude habitée de Barceló

$
0
0

 
Miquel Barceló dans l'atelier aux portraits à l'eau javel– mars 2016 (c) Zoé Balthus

Zoé Balthus – L'an dernier lorsque nous nous sommes vus, tu exposais L'Inassèchement chez Thaddaeus Ropac, et tu m'avais annoncée cette double exposition à la Bibliothèque nationale de France (BnF) et au musée Picasso. Pour ce dernier, tu me disais que l'idée était intimidante. Qu'en est-il à présent ?

Miquel BarcelóFinalement, j'ai pris la chose avec naturel, sans me poser de questions. Ca va. Il fallait d'abord oser le faire, et une fois le pas franchi, il reste ce que je fais, la tauromachie, les animaux à cornes, ces choses que Picasso a fait toute sa vie... je fais ça aussi sans être dans le pastiche, alors pourquoi pas ? Il vaut mieux être naturel, pas besoin d'accrocher ses tableaux à l'envers. D'autant que le musée est si près de mon atelier ! (Rires)

Zoé La corrida, oui, comme Goya avant Picasso. Il y a quelques toiles anciennes lumineuses, au musée. Et de splendides gravures à la Bnf. L'an dernier, tu m'en avais montré quelques-unes, toutes fraîches... des taureaux que tu destinais très clairement à la Bnf. C'était aussi pour ce livre La Solitude sonore du Toreo sur ce texte ancien de José Bergamin...

Miquel – Oui, j'ai fini le livre mais je n'ai plus arrêté d'en faire, j'en fais tout le temps, chaque jour. (Il m'entraîne autour des piles de somptueuses gravures dédiées à la tauromachie). C'est quelque chose qui disparaît, la corrida. C'est étrange... un art finissant.
Je n'avais pas prévu que cela durerait si longtemps mais je crois que cela m'amène quelque part. J'ai continué, c'est devenu plus ambitieux. Je n'aime pas savoir ce que ça va donner, ni combien de tableaux je vais faire, j'essaie de faire ce que le tableau décide, je ne sais pas faire autrement. La conjonction entre le sujet et la technique, j'aime bien.

Zoé–  Parfois, justement, je me demande si ce n'est pas plus la technique que le thème qui te porte et t'emmène quelque part.

Miquel – Oui, enfin, pas la technique, disons plutôt la matière. La gravure est une matière qui blesse. Tu vois tous ces outils, chacun produit une sorte de blessure différente. Ils sont utilisés dans différents métiers, qui n'existent bientôt plus, ce sont des métiers du XIXe siècle. J'en ai même dessinés certains que j'ai fait concevoir au pays basque par une damasquinerie, des ciseleurs qui enchâssent des fusils de chasse, des épées. 

J'ai besoin de ces outils un peu particuliers (il montre une vingtaine d'outils sur sa table). Ils produisent des marques spécifiques que j'ai dessinées et dont j'ai besoin pour mes gravures de tauromachie, pour évoquer ces blessures que l'on fait au taureau. Ca marche bien, c'est une blessure différente répertoriée dans mon catalogue d'outils. C'est un peu de l'animisme tout ça... J'aime bien que chaque outil symbolise un métier, un savoir-faire, un truc qui a disparu. En même temps, c'est tellement beau. Chacun fait un truc très précis. Celui-là, c'est un scalpel de chirurgien, ça c'est un outil de dentiste. Mais ce n'est pas du fétichisme ! (Rires) 

C'est juste un petit jeu... je ne sais pas où ça m'emmène mais je sens que ça me conduit quelque part, je continue pour ce groupe de gravures, à chaque fois en noir et blanc, chaque fois un peu plus noir et un peu plus blanc. C'est une petite partie de mon travail. Je fais ça en guise de défouloir. Souvent tard la nuit. 

Torero (Etat 2 - 2015) Miquel Barceló - BnF  2016 (c) Zoé Balthus
 Zoé– Tu exposes beaucoup d'oeuvres anciennes, plutôt méconnues... une facette plus intime ?

Miquel– Oui, mais ce n'est pas une rétrospective ! Ce n'était pas le but du tout. J'ai seulement voulu des choses anciennes, et des  toiles modernes, un peu mélangées, je pense que c'est bien.

Zoé– Cela permet en effet de voir le chemin parcouru, la cohérence dans ton travail pourtant si varié entre toutes les disciplines...

Miquel – La cohérence... c'est amusant (rires) ce n'est pas le but du tout ! Pour moi c'est drôle, je me sens toujours dans l'incohérence. Quand j'étais jeune, la cohérence était synonyme d'obligation. Mes amis, tous plus âgés que moi, étaient au parti communiste, c'était des gens des assemblées, qui répétaient tout le temps : 'il faut être cohérent'. Et moi, je me disais: 'je ne suis pas du tout cohérent, je fais chaque matin, quelque chose de différent'. Moi, je me croyais dans l'incohérence, c'était la seule chose que j'avais l'incohérence, c'était même mon seul atout ! (Sourire)

Mais maintenant, à la longue,  tout cela à l'air de tenir ensemble, malgré tout. Ce n'est pas voulu. C'est malgré nous que l'on fait les choses, je n'ai aucun mérite...

Zoé– Tu te surprends toi-même ?

Miquel – Parfois... je suis surtout étonné quand je fais quelque chose avec l'impression que c'est nouveau et d'un coup je découvre dans un de mes vieux carnets que j'avais déjà fait cela et j'avais oublié ... Tu sais, tout ce que je fais c'est de la peinture, même si c'est en argile, je suis un peintre. C'est valable pour ce que je fais en céramique ou en plâtre.

Zoé– Picasso soulignait cela aussi...
Miquel – C'est vrai, je ne fais pas de différence. La céramique il faut la sécher, la cuire, ensuite la fondre en bronze ou pas, je ne fais pas de hiérarchie. Je tourne d'un atelier à l'autre. Parfois je peux rester dans le même pendant des semaines sur un portrait. Mais souvent, je fais trois ou quatre choses différentes dans une même journée. J'aime ne pas prévoir.
  
Zoé– J'ai trouvé de la nostalgie dans ce mur de briques et de visages en céramique, que tu exposes au musée Picasso. J'ai pensé que le Mali te manquait, que tu lui rendais hommage. 
Détail du "Grand verre de terre"– BnF – avril 2016 (c) Zoé Balthus
Miquel – Oh oui, c'est vrai le Mali me manque ! Mais ce n'est pas de la nostalgie... je suis enragé avec ça !! Ce n'est pas la nostalgie d'un endroit qui n'existe plus, c'est un endroit où je ne peux pas aller, mes amis sont foutus, c'est très frustrant, c'est terrible pour les gens là-bas. Ils ont moins de perspective. Ca allait de mieux en mieux, ils sortaient de ce marasme post-colonial, avaient réussi à sortir de la dictature militaire de manière pacifique. C'est un pays qui a une culture magnifique, une diversité musicale, et toutes ces ethnies très vivantes... Aujourd'hui, il n'y a plus de commerce, il y avait un brassage entre l'Europe et l'Afrique noire. Maintenant il y a l'uranium et le pétrole qui place le pays au milieu de nouveaux enjeux économiques. C'est complexe, on ne peut pas réduire la situation à une petite guerre de religions. 
Tout ce que j'ai appris je l'ai appris au Mali, le peu de choses que je n'ai pas apprises au Mali, je les ai désapprises ou plutôt réapprises autrement là-bas. La terre, celle dont on tire l'argile, c'est comme la lumière, ça ne coûte presque rien. "Du monde, je n'aime guère que la terre et la pierre" comme l'a écrit Rimbaud...

Zoé– Justement je pense davantage à Tierra y Luz que 'Sol y Sombra' ? Ce titre est de toi ? 

Miquel – Non, ce n'est pas moi qui l'ai choisi mais finalement je n'ai pas trouvé mieux. Comme pour la performance Paso doble, c'est quelqu'un d'Avignon qui avait trouvé le titre. J'ai trouvé plein de défauts au titre et puis je m'y suis fait et je trouve que ce n'est pas si mal. Sol y sombra, cela évoque les tarifs des places dans les arènes, à l'ombre c'est plus cher parce qu'il fait très chaud. Mais l'ombre finit par couvrir toute l'arène. Mais bon je pense que c'est une bonne image pour cette expo. 

Zoé–  Le Grand verre de terre,  la monumentale fresque que tu as créée à la BnF, c'est l'idée que tu m'avais montrée développée dans la maquette d'une vaste pièce de quatre panneaux de verre peints à l'argile destinés à une installation au Brésil pour l'été prochain... c'est toujours d'actualité ?

Miquel– Oui, à Belo Horizonte... c'est compliqué le Brésil... j'ai pensé aussi y mettre du son, mais finalement, je pense que les bruits de la nature extérieure, ceux de la jungle,  ce sera bien aussi. 

Paseillo avec taureau cuivre (2015) Miquel Barceló- musée Picasso  2016 (c) Zoé Balthus
C'est le projet d'un pavillon de 60 m par 50 m badigeonné d'argile dessiné à travers lequel est projetée la lumière naturelle comme la fresque de la BnF mais je ne veux pas trop prévoir, je préfère improviser. Je veux que ça garde cette fraîcheur de la chose qui n'a pas été trop préméditée. Je vais faire un film avec la  verrière et la grotte Chauvet, j'aime bien ce dialogue. Un long travelling... 

Pour la BnF, cela a pris une autre dimension, 200 m sur 6 m de hauteur... c'est 1.200 m2 de fresque ! Je l'ai réalisé en douze jours ! Mais peu importe, j'ai effacé des parties puis recommencé, j'aurais pu continuer encore, c'était un plaisir. J'ai vraiment aimé faire cela.  Au début j'ai gravé sur l'argile sèche et puis j'ai vu que c'était un peu trop graphique alors je me suis mis à travailler sur l'argile fraîche, avec le corps, les bras, les coudes, les deux bras, c'est devenu plus physique, plus sensuel, plus pictural. Et puis cela est devenue une vraie peinture et quand la lumière ensoleillée traverse la fresque elle s'anime...

Zoé – Oui, tu m'avais dit : "tu vois, je réinvente le cinéma" et tu l'appelais le "dessin infini'...

Miquel – C'est drôle, n'est-ce pas ? Parce que toutes ces inventions du XIXe siècle deviennent des techniques picturales, comme ces outils qui n'ont plus de maître, le cinématographe, la photographie, la lithographie. C'est drôle, c'est comme un héritage d'un vieil oncle. Au moment où on annonce que la peinture est morte, on reçoit un héritage.

Zoé– J'aime ton rapport au livre, aussi, ton Livre des Aveugles est merveilleux, un peu mystérieux ?

Miquel– C'est vieux ça, ça date de 1991. C'est un livre pornographique pour les aveugles, il y a un rapport avec l'Histoire de l'oeil de Georges Bataille mais surtout l'idée était de faire une peinture sans image,  parce que les aveugles voient seulement par le toucher, avec une histoire en braille, que l'on

voit mais qu'on ne peut pas comprendre, cela ressemble beaucoup à mes tableaux des années 89-90, mes paysages de désert. On peut en faire une double lecture, d'un côté il y a le livre érotique seulement charnel, de l'autre côté au contraire il n reste que l'ossement, blanc.

Zoé– A la BnF, il y a certains de tes carnets, une grande toile figurant une bibliothèque qui rappelle L'Amour fou pour laquelle j'éprouve une grande tendresse et au musée Picasso une pièce consacrée à l'atelier...

Miquel– L'atelier est un thème récurrent, il n'y en a pas de nouveau encore mais je suis sûr que je vais en faire d'autres (rires). Comme les arènes. Je travaille tout seul comme les peintres d'il y a cent ans, alors le peintre dans l'atelier reste une image centrale. C'est souvent une manière de m'en sortir, quand je suis un peu dans une impasse, je regarde autour de moi, et fais un atelier pour finir ou commencer quelque chose. Cela revient régulièrement comme la bibliothèque, c'est d'ailleurs une extension de l'atelier. C'est presque synonyme. L'amour fou, une toile ancienne qui reproduit l'artiste dans l'atelier, où il y a autant de livres que de tableaux et le peintre en érection (Rires).

Profil sur Oreille d'éléphant naturalisée (2014) - Atelier du Marais - mai 2015 (c) Zoé Balthus
Zoé – Quels sont tes projets ?

Miquel – Mon projet est de travailler tous les jours ! Je travaille sur un mur de céramique pour une grande chapelle romane pour bientôt. Je ne peux pas dire où. Je fais un tableau de 15 m pour une fondation que je ne peux toujours pas dévoiler. L'expo de New York cet automne, je fais des choses et voilà, je ne prépare pas. Je travaille sur plusieurs livres importants. Et puis, je fais photographier toute mon oeuvre. C'est tellement mauvais en général, les photographies d'oeuvres d'art. On verra !!

Aveillan : T.R.A.C.E

$
0
0

Roland Garros série 2015 (c) Bruno Aveillan
Tennis, tournoi, terre battue, tamis, tension, tie-break, tête de série…

Raquette, race, rallye, reprise, revers…

Avantage à l’artiste. Il est libre. Il a le talent et l’audace. Il se donne le temps nécessaire à l’exploration de la vérité des lieux, à la perception de leurs vibrations, à la compréhension des échanges. Guidé par un instinct et une sensibilité aigus, Bruno Aveillan n’a pas son pareil pour transmettre les atmosphères et les émotions, les élans de passion et les flux de tensions. Il éclaire avec subtilité la face cachée des planètes les plus exposées, ainsi que peut l’être le stade de Roland Garros chaque année, lors des Internationaux de tennis. Il est le témoin discret des joies et des drames qui agitent cette enceinte, des entrailles jusqu’aux ciels. 

Roland Garros série 2015(c) Bruno Aveillan
Champion de la plus haute volée dans sa discipline, le photographe révèle, sous de multiples et étonnantes facettes, la dolce vita des amateurs éclairés, à l’ombre de leurs canotiers, qui peuplent les gradins et les allées à l’heure du célèbre tournoi et, à la fois, les efforts surhumains que déploient les grands noms du tennis mondial qui s’illustrent dans la poussière sanguine, brûlée le plus souvent par un soleil de plomb. Et dans l’œil de l’artiste s’exhale la poétique des gouttes de sueur perlant sur la nuque de Serena Williams ou du regard de l’ancienne gloire des lieux John McEnroe.

Elégance du jeu, désir d’excellence, endurance spectaculaire exigés par des tennismen hors-pairs, plaisir d’exception pour une population hédoniste, gestes coordonnés à la perfection de jeunes ramasseurs de balles, sont autant de convergences avec la quête d’un instant de grâce, d’un angle singulier que le plasticien traque dans l’observation de toute cette extraordinaire mécanique et de ses rouages les plus infimes autour des courts. Ses faisceaux fulgurants, ses tonalités suaves, ses effacements prodigieux sont en soi une signature qu’il régénère à tout bout de champ, sans jamais se trahir, pour laisser derrière lui un monde ébloui.

Texte de Zoé Balthus accompagnant l'exposition T.R.A.C.E de Bruno Aveillan à partir du 21 mai, galerie JDW (Cosmos), 56 Boulevard de la Tour-Maubourg, 75007 Paris et chez Collette, 213 Rue Saint Honoré, 75001 Paris, à l'occasion de la publication de son livre Roland Garros aux éditions de la Martinière.

Sakamoto : la musique et l'amour du monde naturel

$
0
0
Sakamoto Ryuichi – juin 2016 (c) Zoé Balthus
Je l'ai repéré à 100 m malgré ma myopie. Silhouette d'adolescent, petite taille,  mèches blanches tombant sur les yeux, un sac à dos porté à l'épaule droite, sur un bomber gris perle, une main dans une poche du jean, allure nonchalante, à tel point que j'ai douté... un quart de seconde. Oui, c'est bien lui, incognito, sur le boulevard vers les lieux de notre rendez-vous. Il passe devant moi, sans un regard. Nous sommes tous les deux en avance. Il entre dans la Fondation Cartier. Lorsque je le retrouve un peu plus tard, dans le jardin de l'institution, il est métamorphosé... en Sakamoto Ryuichi

Lunettes rondes en écailles, une veste sombre, stylisée, fermée par deux boutons couleur rouille, a remplacé le blouson de gamin. Il me sourit, s'approche avec gentillesse en me tendant la main. Je m'attendais à des salutations nippones. Nous nous inclinons juste un peu, par réflexe. Il frissonne, il bruine un peu. Il a l'air grave, les sourcils froncés, le froid l'agresse et il me le dit. J'avais compris. Rassurante, je tapote son bras et l'entraîne par le coude, tout en le guidant en direction de l'entrée où nous mettre au chaud. Pourtant, nous marchons avec lenteur. En chemin, j'entame d'emblée un petit bavardage frivole, destiné à le mettre à l'aise. Il m'écoute lui raconter avec curiosité une anecdote à propos de Tsuguhuru Foujita, auquel il me fait penser depuis longtemps. Il est amusé. « C'est drôle ça, je ne savais pas !» C'est gagné, il sait qu'il est en bonne compagnie, et se détend déjà, d'autant que l'on pénètre dans le climat plus clément de la Fondation Cartier où l'exposition Le Grand orchestre des aninaux vient d'ouvrir et à laquelle il participe avec son ami et plasticien Shiro Takatani. 

Il se laisse conduire, avec obéissance. Je ne lui laisse pas le choix et l'entraîne à l'endroit isolé que j'ai repéré pour notre conversation. Le lieu lui convient. "Bien", dit-il en s'asseyant face à moi, avant de m'interroger avec timidité, « juste... est-il possible d'avoir un café ?»Va pour deux cafés, moi aussi j'ai eu froid. 

Je n'en crois pas mes yeux qui l'absorbent tout entier. J'ai sans doute des étoiles dans le ciel noir qui me sert de regard. Le sien cerclé d'écailles fuit sans cesse au loin tandis qu'il parle mais se plante avec régularité dans le mien. Rencontre. 

Sakamoto vit à New York depuis de nombreuses années. « Je viens de Tokyo, mais c’est Kyôto qui me manque souvent, et certaines belles facettes de la culture nippone». Nous évoquons quelques grands noms des arts plastiques japonais, « je n'ai jamais été doué dans ces disciplines, avoue-t-il, un rien honteux, « c'est terrible...»  Il songe à sa grand-mère disparue qui devait désespérer de lui, « elle enseignait la cérémonie du thé». Art traditionnel par excellence, au même titre que la calligraphie. « J'aime les petites salles dédiées à la cérémonie du thé » .

Immense star au Japon de passage à Paris, ce pionnier de la musique électro-acoustique signe l'orchestration originale de l'installation vidéo réalisée par son complice Shiro Takatani.

Sakamoto Ryuichi – juin 2016 (c) Zoé Balthus
« C'est la chorégraphie de ces minuscules créatures aquatiques qui composent le plancton», m'explique-t-il en anglais, à voix très basse, à peine audible. Avec Shiro Takatani, « nous travaillons ensemble depuis bientôt vingt ans», précise Sakamoto Ryuichi, qui évoque leur  « collaboration sur les jardins japonais entamée il y a dix ans».  
 
« Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, bien sûr, lui et moi, tous les sens en alerte. Essentiellement dans les temples et les jardins de Kyôto : à tendre l'oreille, à l'écoute des sonorités des arbres, à regarder le passage des nuages », ajoute-t-il.

Entre autres installations, ils ont créé ensemble Garden Live en 2007, au coeur du temple bouddhiste Daitoku-ji à Kyôto, ou encore Forest Symphony en 2013.

Je lui confie que j'ai eu le bonheur d'errer seule dans ces lieux merveilleux, sereins qui invitent à la méditation et la contemplation. « Les jardins sont des endroits étranges en général, en particulier au Japon où ils donnent lieu à des concepts artistiques bizarres», me fait-il remarquer. Il s'émerveille que certains aient pu traverser des siècles et des siècles, presque intacts. « Il y a des jardins qui ont plus d'un demi-millénaire, les arbres et les nuages d'origine ont déjà disparu mais la végétation a repoussé, les nuages sont revenus et, avec eux, l'esprit et la paix du jardin demeurent-là, des centaines d'années plus tard»

Il a donc imaginé la musique des jardins japonais. « Elle change avec constance comme les arbres, l'herbe verte, les fleurs mais l'esprit qui les habite reste, semblable à lui-même ». Il précise avoir, avec Shiro Takatani, exploré une grande variété de jardins dans l'enceinte des temples de Kyôto et c'est suivant les mêmes principes qu'ils ont approché l'univers sous-marin du plancton.

Lacomposition musicale destinée à une installation « relève d'une conception totalement différente de celle d'un disque, d'un concert ou d'un film. Je me sens plus libre, n'étant pas cadré par une histoire, un metteur en scène et une durée. Je jouis de la plus absolue liberté, mais j'aime les deux disciplines ».
Sakamoto Ryuichi s'est vu décerner, avec deux autres compositeurs, l'Oscar de la meilleure musique de film pour Le dernier empereur de Bernardo Bertolucci en 1987. Un film dans lequel le musicien incarnait par ailleurs le souverain chinois, déchu par les maoïstes.


Il avait auparavant signé, avec David Sylvian du groupe Japan, la bande originale Merry Christmas Mr. Lawrence de Nagisa Oshima. Le titre mythique Forbidden colours, récompensée par le BAFTA britannique de la meilleure musique de film, avait bouleversé ma planète de jeune fille. 

Le décès en début d’année de David Bowie, aux côtés duquel il avait joué dans le film d'Oshima, l'a laissé « sous le choc, longtemps. Il m'a fallu plus d'un mois et demi pour accepter la réalité de sa disparition, je n'y croyais pas», admet-il.

La veille de notre rencontre, il a croisé Iman, la veuve de Bowie, à New York où le couple vivait aussi.« C'était à l'occasion d'une soirée publique alors nous n'en avons pas parlé, elle était bien sûr très digne mais je l'ai trouvée fort remarquable et courageuse».

En 2014, le compositeur a lui-même été confronté à de graves problèmes de santé et avait dû interrompre ses activités. « J'ai eu un cancer de la gorge, c'est pour cela que je mastique du chewing-gum tout le temps »,  explique-t-il, en piochant une boîte de gomme dans sa poche, « ma gorge ne doit jamais s'assécher, pardonnez-moi»... la trivialité de l'instant ! La politesse nippone est toujours délicate, presque excessive. Je le rassure, lui demande s'il souffre encore et si c'est la raison de son timbre de voix si bas.« Non je n'ai pas mal et j'ai toujours parlé ainsi, c'est ma nature ». Il sourit.

La sortie, il y a quelques mois, du film The Revenant d'Alejandro Gonzalez Inarritu avec Leonardo di
Sakamoto Ryuichi – juin 2016 (c) Zoé Balthus
Caprio, dont il a signé la bande originale, a permis à ses fans de renouer avec ses tonalités. Une composition pour laquelle il a été nommé aux Golden Globes de la meilleure musique de film.

« J’ai travaillé sur cette musique pendant six longs mois. D’habitude, il m’en faut deux maximum. Parfois quatre semaines suffisent », se souvient-il. « Ce fut terriblement difficile. C’était tout juste après mon traitement, je n’étais pas complètement rétabli, j’avais encore le moral en berne, les conditions n’étaient pas idéales. D’autant que j’avais une autre musique de film en chantier» 

Il s'agit d'un long métrage du vétéran du cinéma japonais Yoji Yamada, Nagasaki: memories of my son, qui donnera aussi lieu à l'édition d'un disque à l'automne. Le compositeur a également terminé au début 2016 la bande originale d'un long métrage du Coréen Lee Sang-il, Anger« un drame ultra violent ». Le film et le disque sont prévus pour la rentrée. 

Sa musique, bien sûr, l’occupe toujours autant. Il travaille à un nouvel album solo. Il souligne qu'il n’en a pas produit depuis sept longues années et cela signifie qu'il « est grand temps d’en sortir un autre». Aussi, désormais il oeuvre dans l'espoir de créer« l’album de ses rêves, le chef-d’œuvre avant de mourir, c’est mon vœu le plus cher.» Il y passera le temps qu'il faudra.

« Comme tout le monde, après s'être sorti d'une maladie grave, j'ai pris réellement conscience de la durée de vie limitée bien sûr, mais je n'éprouve pas pour autant de sentiment d'urgence», précise-t-il,« au contraire, je me détends davantage et profite du bonheur de respirer ».

Sakamoto n'est pas religieux. En revanche, il dit s'intéresser à la spiritualité, au rôle des religions dans l'histoire de l'humanité. « Je suis passionné d'animisme ! J'aime la vision qu'ont du monde les sociétés primitives, comme celle des Ainus au Japon et des Indiens d'Amérique !», confie-t-il.Sinon, lui se réjouit surtout d'être en vie, de goûter « une simple conversation, la sensation d'un rayon de soleil, une brise dans les feuillages, la vision d'un nuage qui passe».

Jusqu'au 8 janvier 2017, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente Le Grand Orchestre des Animaux, inspiré par l’oeuvre de Bernie Krause, musicien et bioacousticien américain.

Emmanuel Tugny & Zoé Balthus : Entre nous soit dit

$
0
0
Monotype (c) Paul de Pignol – Couverture de Entre nous soit à paraître chez Gwen Catala

« Dimanche 17 juillet 2016


Zoé – Je poursuis sur cette lancée que m’a soufflée Marguerite pour aborder la question du style. Tu te moques de moi, parfois… souvent, en me prêtant des accents durassiens. Flatterie pour fille, dit-elle (sourire). 

Duras riait de l’effet que produisait ce qu’elle appelait l’audace de son style que l’on reconnaît entre tous – et dont elle jubilait a posteriori avec fierté comme une révolutionnaire après avoir jeté des pavés à la tête de sombres flics  – jusque dans la structure de ses phrases qu’elle tordait et ses répétitions… à répétition, cette forme de détachement du monde et la manière dont elle livrait au monde le monde lui-même tel qu’elle le toisait, avec une douloureuse compassion mêlée de dégoût, un monde qui était toujours sien mais dont elle voulait se venger.

Je considère que ton style est un frère révolutionnaire, audacieux, entre mille reconnaissable, qui déstabilise tout en ouvrant d’autres perspectives, mais ton style est beaucoup moins terrien que le sien, je veux dire que le tien est sidéral.

Je songe aux noms désarçonnants et néanmoins superbes des personnages – et des contrées
de tes romans, de l’espace et du temps neufs qui semblent taillés dans la flottaison des songes et qui ajoutent à la confusion, parfois comme si tu cherchais à tous les semer en route, et les perdre, perdre le fil même du récit, distrait par un tout autre fil dont tu te saisis pour le raccorder ou non, en t’appuyant pour ce faire, aussi sur le style mais pas seulement. Bien sûr, il y a la qualité et la richesse du récit qui participent de ton style, et à la différence de Duras qui, malgré elle restait ancrée dans la réalité, toi tu parviens à rompre les amarres d’ici-bas… Dans ton style, il n’y a pas de vengeance, nulle haine réelle que l’on sentirait monter des tripes, même lorsque cela cogne, cela saigne et même quand cela tue, c’est hors de toi.

Qu’est-ce que toi tu appelles style, comment définirais ton style, si tu le peux…

Sans style, peut-il y avoir livre , selon toi ? Elle, maintenait que non.

Emmanuel Tugny à Saint-Malo –  2016 (c) Zoé Balthus

Tugny – Ce que tu écris fait un sacré écho en moi au moment où, parce qu’ils reparaissent, je relis beaucoup de mes livres.

Par exemple, Le Souverain Bien, dont les chapitres d’ouverture sont à mi-chemin entre réalisme – un peu à la Russe – et fantastique, ou La Vie scolaire.

Me relisant, je me rends compte que ce qu’on appelle généralement le réalisme est vraiment très peu mon affaire. L’écriture s’y ennuie, on la sent fébrile, engagée dans autre chose, pas à son aise, comme ravie hors d’elle-même par une dimension sinon plus haute du moins distincte et plus aérée, moins entravée par des formes qui en précéderaient la naissance. Je dis souvent pour faire l’intéressant que la littérature fondée en réel est une littérature anaphorique. Elle est là pour rappeler, pour faire revenir, pour revenir. Je sens, lorsque je me relis, que la littérature que je travaille à mettre en chemin est en état de panique face à l’accumulation des formes antérieuresà la sienne, qu’elle halète entre syndrome de claustration et sensation qu’un ordre ou qu’un règne s’impatiente, où la respiration de ce qu’elle entend être comme forme l’attend impatiemment.

J’ai vraiment cette sensation-là que la construction d’un livre à partir de ce qui le précède au monde, que ce qui le précède au monde me ressortisse, ressortisse à l’auctorial comme monde ou ressortisse au monde, à ce qui n’est pas celui qui écrit, n’est pas pour mon livre. Au reste, les oeuvres qui se fondent sur l’observation des choses ou sur l’observation de celui qui les observe, l’auto-fiction faisant comble, me tombent en général des mains.

Lorsque tel n’est pas le cas, c’est qu’une majesté particulière du monde ou de soi en faufile l’écriture, qu’une vérité d’ordre anagogique me semble atteinte, s’agissant du phénomène ou de ce qui s’y rapporte du moi écrivain. Je dirais des livres qui disent quelque chose du monde ou du moi qu’ils ne me plaisent que quand, par une sorte d’intensité supérieure de l’engagement dans l’écriture, entre munificence du champ observé et itération du motif jusqu’au dégagement de sa dimension d’éternité, ils exsudent de l’être de soi ou des choses. D’Aubigné, Retz, Scarron, Crébillon, Balzac, Dostoïevski, Tolstoï, Faulkner, Hugo, Proust, Maupassant, Hyvernaud, Grossman, Céline, Pirandello, d’autres… Duras…

Il y a dans les livres de ces écrivains que j’aime « tant de réel », tant de générosité dans l’abord des choses, tant de choses et dans cet abord tant d’opiniâtreté (analyse, itération) que quelque chose d’un « absolument le monde /le monde absolument » s’y fait voie à la lecture. Je ne dirais pas tout à fait que ces auteurs disent le monde ou se disent, je dirais qu’ils élèvent le monde et le sujet observant vers une anagogie de soi, une strate où le monde et soi sont soi, c’est-à-dire de l’ordre de l’être, de cet ordre dont la principale caractéristique est à mes yeux qu’il est cela où les formes (qu’elles soient du monde ou de soi n’y change rien) rencontrent leur solution dans l’être, leur mêmeté dans l’être, c’est-à-dire une forme progressive de dissolution dans l’unité irénique.

Etat civil de Balzac, moi proustien : il suffit que tout cela rencontre cet ordre anagogique par le travail non pas tant du style -j’y reviendrai- que de la matière du livre tout entier, qui l’excède amplement, pour qu’une paix gagne l’écriture, fût-ce dans ses méandres et ses spasmes. Ce qui est sourdement le même en tout, que je nomme l’être et que je pourrais fort bien nommer l’infinité (pensant à Lévinas), l’absolu, l’éternité d’une vérité, gagne à ce point le capharnaüm réaliste chez certains réalistes qu’une forme de simplification paisible s’opère, dans quoi je reconnais un espace, une atmosphère, un recours possible pour cette forme singulière de la phénoménologie qu’est la lecture.

Il me faut beaucoup d’air dans une œuvre.

Beaucoup d’atmosphère.

Beaucoup de souffle, souterrain ou pas, de mêmeté, de beauté moniste.

Le tour de force de beaucoup de mes auteurs de chevet est de parvenir à ce qu’un désordre des objets circonscrits expire la matière en quoi ils se dissolvent et qui est l’unité du monde en l’être.

Quand cet apaisement des formes dans l’anagogie, qui est affaire de travail, qui est affaire ouvrière, ne m’apparaît pas, quand je ne vois qu’accumulation des formes du monde et de formes de soi, quand je vois cela dans le livre de l’un, de l’autre ou dans les miens, quelque chose se met en branle qui organise mon évasion.

Je referme le livre de l’autre et pour ce qui regarde mon livre, je lui indique qu’il est temps d’aller voir ailleurs si j’y suis.

Au fond, Le Souverain Bien, par exemple, ou Après la Terre, ne parlent que de ça, à la revoyure… je vois bien qu’ils désignent un chemin par où le récit peut et doit prendre le large. Ces deux romans-là, par exemple, contrairement à Mademoiselle de Biche ou au Silure, ne dérivent pas d’une résolution, ils n’ont pas réglé la question de leur champ d’intervention avant que de naître comme forme. Ils vivent un peu où le fatras des choses aliène leur parole à un désordre stupéfiant et puis, en effet, comme tu le dis, ils prennent leur envol vers une dimension autre. Ni supérieure ni inférieure ni parallèle : autre. J’aime bien que tu utilises cette idée du « sidéral » parce qu’en effet, je dis dans le livre que j’ai écrit dessus qu’elle est cette dimension où, par repli de l’être sur soi, par écrasement des solitudes, l’être se rencontre dans l’être…cette dimension sidérale, c’est celle que veulent atteindre mes livres, oui.

Il y a un peu de platonisme, beaucoup de romantisme (à l’allemande ?) là-dedans : le règne rationnel, le règne analytique, le règne des formes discriminées me semble d’une étroitesse insigne, je n’y suis pas à l’aise comme ouvreur de livres, je l’ai dit. Il m’a toujours semblé qu’un mensonge et comme un diable (un diabolos) gouvernait cet espace des cantonnements, des taxinomies. C’est un règne menteur à mes yeux, plus fictionnel que les fictions. Et puis c’est un piège qui isole le moi de ses motifs, de ses supports d’observation. En somme, c’est à fuir. C’est à fuir vers l’Idéal de tout ça, vers des formes qui sont à la fois toujours et jamais le monde. Oui, il y a beaucoup de platonisme et beaucoup de romantisme dans mes livres. Tous aspirent à rencontrer un ordre sidéral où les formes du monde se ramassent, se regroupent, se fondent en des uns se fondant en l’Un. Mes livres cherchent à rencontrer l’ordre de l’Un, je ne peux pas mieux dire. Et à les lire, je vois combien ils vivent leur passage par l’observation des choses comme une épreuve dispensable, comme une torture sans objet ou, au mieux, comme une séquence initiatique.

Ils prennent la tangente, je le vois, de deux façons : la première consiste à travailler le monde depuis une langue qui en dit le caractère intenable, une langue elle-même intenable, impropre à la consommation. La seconde, toute complémentaire, consiste à dire le règne à quoi se rendre, où se rendre, depuis une langue qui soit hospitalière, depuis une langue qui, par adhésion à un certain nombre de principes d’élucidation (répétitions, syntaxe apaisée, lexique emprunté à la parole ou au livre d’en haut) dit la paix rencontrée en terre anagogique.

L’anaphorique fait le style furieux, de mes livres, l’anagogique le fait tranquille.

Et qu’est-ce que j’appelle le style lorsque j’écris ça ?

Je n’essentialiserais pas le style comme Flaubert… Je préfère l’option Buffon…

Je ne crois pas du tout qu’une œuvre, qu’un livre, ce soit une langue et c’est tout, que le style (au sens de langue inédite) soit une « manière absolue de voir les choses » car cela reviendrait à faire de la littérature une affaire de langage ;  or, je crois que si la littérature est en effet une affaire de langage, elle ne l’est que de façon seconde, étant me semble-t-il au premier chef une affaire de résolution de l’être en objet et de l’objet en être dont le langage est un outil, pas le seul, et pas comme langage, le plus souvent, mais comme partialité rythmique, lexicale, du langage qui ne me semble jamais totalement engagé comme tel en littérature (c’est un autre sujet, revenons-y à l’occasion si tu veux). Je ne dirais d’aucun livre que j’aime que son affaire soit d’être langage. Tous les livres que j’aime fondent leur existence propre sur un rapport du sujet à l’objet et de cette phénoménologie à l’être dont le langage est à mes yeux, jusque dans ses involontés patentes, le traducteur servile.

Il y a en littérature une servilité du langage qui me semble lui interdire d’être l’œuvre.

En revanche, le rapport qu’établit Buffon entre le style et l’homme et qui me semble en creux assujettir, subordonner les formes stylistiques à l’affirmation d’une identité de livre qui soit arrachement, affranchissement aventureux d’un objet par rapport à une humanité ouvrière, c’est-à-dire les assujettir, les subordonner à un dialogue entre facteur de livres et livres, me semble convenir davantage…

Je dirais du style qu’il est une modalisation, c’est-à-dire une traduction dans la forme du langage comme aliénation en forme d’un rapport sujet-objet et sujet-objet-être, du rapport entre l’ouvreur de livre et son livre.
  

A mes yeux, si la littérature n’est pas soluble en le style, c’est que le style est la modalité du dialogue ouvrier entre l’auteur, le sujet auteur et son livre, l’objet-livre.

Le style est la forme de l’échange entre l’auteur et sa matière qui lève et qui s’en va.

Le style c’est l’homme au travail du livre.

Pas le livre.

Le travail, pas le produit.

Ce n’est ni tout l’homme ni tout le livre, c’est la forme d’un dialogue phénoménologique intime entre celui qui écrit et cela qu’il écrit.

Ainsi l’angoisse éprouvée devant telle ou telle direction prise par le livre me semble-t-elle trouver sa traduction formelle dans telle ou telle modalité du langage littéraire, de même que la paix éprouvée au constat de la direction du livre vers une résolution de ses formes en une forme majeure, anagogique, me semble trouver sa traduction dans d’autres modalités…

Oui, je dirais du style qu’il est l’homme au travail, saisissable dans la forme du livre, ou le dialogue de l’homme et de son œuvre repérable dans le langage qui est – et n’est que – la matière du livre.

En quelque sorte, le style, c’est l’œuvre mais je ne dis pas là une chose si simple parce que ce que j’entends par œuvre, c’est le processus d’œuvre, pas le terme, le devenir, pas le terme ; je ne parle pas au perfectif…je dis quelque chose d’un peu deleuzien alors je précise : le style, c’est l’œuvrer, le style, c’est l’ouvrer, le style c’est l’homme au travail du livre.

Je parle à l’imperfectif : « Le style, c’est l’œuvre ».

Soyons un peu définitifs, Zoé : « le style, c’est le travail de l’œuvre ».

« Le style, c’est l’œuvrer ».

Mon style, c’est le travail de mes œuvres. Il est en dépendance de mes livres. J’ai le style du travail de mes livres. Si je n’en ai qu’un, j’en dirais qu’il est panique au monde, serein outre, c’est-à-dire, tutto sommato, arythmique, irrégulier ou formidablement homogène si on lui applique un regard fondé sur l’observation immédiatiste (au sens de Jankélévitch) du travail de l’œuvre c’est-à-dire, en ce qui regarde mes livres, d’un travail dont tout le sens est la quête fiévreuse, impatiente, d’une façon de point d’orgue.

Voilà, le style, c’est le travail de l’œuvre et le mien, c’est le travail d’une aspiration à l’unicité paisible comme résolution. »

In Entre nous soit dit– Entretiens– Emmanuel Tugny & Zoé Balthus Postface de Cyril Crignon– à paraître chez Gwen Catala Editeur


Le cornac blanc et l'éléphant noir

$
0
0
Dans le N°4 de la revue La Moitié du Fourbi



En amont du 26e Salon de la Revue qui se déroulera les 14, 15, 16 octobre, la librairie parisienne Tschann et Ent'revues organisent une soirée de lancement du N°4 de la revue La Moitié du Fourbile vendredi 7 octobre à partir de 19h30 en présence de Frédéric Fiolof, son directeur, des membres du comité de rédaction et des auteurs de ce numéro. 

Librairie Tschann, 125 boulevard du Montparnasse – 75006 Paris
Le Salon de la Revue, Halle des Blancs Manteaux – 75004 Paris

Aveillan : la tentation de l’abstraction

$
0
0

 
Cinq et demi – Venise 2010 – Coll. Zoé Balthus © Bruno Aveillan

« Je m’éloigne volontairement du réalisme, pour privilégier une approche plus impressionniste, fragmentaire, et certainement oétique. Je préfère voiler pour mieux dévoiler. Ce qui fait la force d’une image, c’est sa part d’invisible, tout ce qui se devine, se perçoit, s’imagine : les sons, les odeurs ... Cette approche touche à l’intime, parfois aux frontières de l’abstraction. Je tente d’ouvrir l’espace à l’imaginaire, un détail souvent suffit à créer un voyage, à prolonger une histoire et provoquer une émotion. L’essence du souvenir. »— Bruno Aveillan 

Qu’il saisisse l’atmosphère des sous-sols du Bolchoï, ou l’apparition d’une diva en répétition, d’un paysage désertique du bout du monde ou la curiosité d’un enfant dans la poussière d’un village, Bruno Aveillan relève avec constance le défi de la transfiguration de la vision. 

De connivence avec tous les phénomènes que lui propose la nature, il ne résiste pas au flirt de la réalité visible avec la désagrégation potentielle de sa matérialité. Grâce à l‘alliance exclusive, intime qu’il noue avec la lumière, il cède à la tentation de l’abstraction sans jamais lui laisser tout l’espace.
Bruno Aveillan se plaît à dévoiler l’étendue des rapports dans l’absence et des forces en présence. Sur le fil, il s’attache à maintenir le fragile équilibre du côté du chef-d’œuvre pur. 

La narration progresse, en douceur dans l’éclat insolent, inquiétant parfois, toujours infiniment prégnante. Et l’artiste n’est jamais plus heureux que lorsqu’il est lui-même transporté par les contes énigmatiques que renferment ses images.  

Texte de présentation de Ceremony, exposition rétrospective de Bruno Aveillan
du 17 novembre 2016 au 15 janvier 2017
A. Galerie 4 rue Léonce Reynaud 75016 Paris

Rilke et Tsvétaeva s’effleurent au septième ciel

$
0
0
Marina Tsvétaeva - Photographe et date non identifiés

« Je reviens à la maison, non pour tromper
ni pour servir -  je n’ai pas besoin de pain.
Je suis ta passion, ta renouée du dimanche, 
Ton septième ciel et ton septième jour. » - Marina Tsvétaeva

« Ceux qui l’ont vu vivre
ne se doutaient pas combien
il faisait un avec toute chose ;
car tout ceci : ces profondeurs, ces prés
et ces eaux étaient son visage. » - Rainer Maria Rilke 

Au début de 1926, Marina Tsvétaeva était parmi les poètes russes les plus admirés. Au printemps de cette même année, elle était reléguée au rang « des plus décriés », en Union Soviétique mais aussi à l’étranger, tombée en disgrâce après la publication d’articles polémiques, dont Le Poète sur la critique et Florilège, dans lesquels elle avait écharpé écrivains, poètes et critiques.

Aussi, à la lecture de la lettre que Rainer Maria Rilke lui adressa le 3 mai 1926, la chère poétessefut aussitôt transportée du fond de ses Enfers jusqu’au septième ciel, « jetée sur la plus haute tour de la joie »

En écrivant à Tsvétaeva, le poète autrichien, - depuis un sanatorium du canton suisse de Vaud où il séjournait pour la troisième fois -, avait accompli une mission-surprise, que lui avait confiée le poète russe Boris Pasternak, depuis Moscou.

 « A l’heure qu’il est, je reçois une lettre qui me touche infiniment débordante de joie et de la plus impétueuse émotion, de Boris Pasternak. Tout ce que ses feuillets suscitent en moi d’émotion et de gratitude doit d’abord, si je le lis bien, aller vers vous, puis, au-delà de vous, par votre entremise, jusqu’à lui ! » Tel un vent lumineux et chaud, ainsi Rilke s’engouffrait dans la vie d’une poétesse russe, inconnue de lui.

Orphée se retournant

A l’heure de l’exil, du doute et de la pauvreté en Vendée, Tsvétaeva vécut l’événement comme si Orphée en personne était descendu la chercher au royaume d’Hadès, comme si le Christ s’était manifesté ressuscité pour elle seule, comme dans sa Madeleinede 1923.

« Vers toi, de toutes mes faiblesses
J’aurais rampé – Et claire
Ma robe ! Que coule l’huile
Cachant mes yeux de diablesse » 

 Les mots de Rilke agirent sur elle tel un baume miraculeux, de consolation et d’espérance. En un éclair, elle reprit foi en son destin alors même qu’elle cherchait sa place parmi les poètes, et affrontait l’hostilité d’un monde qui meurtrissait sa chair et, plus violemment encore, son âme.

Rilke faisait suivre sa missive de ses derniers recueils de poèmes, Sonnets à Orphée et ses Elégies de Duino – ce dernier orné d’une magnifique dédicace :

« Nous nous touchons, comment ?
Par des coups d'aile,
Par les distances mêmes nous nous effleurons.
Un poète seul vit, et quelquefois
vient qui le porte au-devant de qui le porta. » 
 [...]

Ils ne s’étaient jamais rencontrés, n’avaient jamais échangé ni regards, ni mots, et pourtant Rilke affirma le regretter. « Pourquoi ne m’a-t-il pas été donné de vous rencontrer ? A en juger par la lettre de Boris Pasternak cette rencontre aurait été pour vous et pour moi une très profonde, très intime joie. Cela pourra-t-il se rattraper un jour ? »

Rainer Maria Rilke - Photographe et date non identifiés
Rilke n’avait jamais lu la poésie de Tsvétaeva mais, elle, en revanche, chérissait son œuvre et admirait sa matière poétique phénoménale.

« Vous, la poésie personnifiée, ne pouvez pas ne pas savoir que votre nom à lui seul est un poème. Rainer Maria, des sons qui évoquent église - enfance - chevalerie », s’enflamme-t-elle, dans son extraordinaire réponse à Rilke.

Evidemment, elle aurait eu maintes occasions de tenter d’entrer en contact, mais elle n’avait pas osé aller à lui, ne se sentant pas encore à la hauteur pour aborder cette cathédrale que représentait Rilke à ses yeux, « par fierté douloureuse, par respect du hasard (le destin c’est tout un) », argua-t-elle. Elle avait attendu son heure, en somme. Il était bien temps. Il était presque trop tard. Elle ignorait que Rilke était condamné. Lui, s’en doutait seulement.

Tous ceux qui avaient croisé le regard clair du poète ont rapporté avoir été frappés par sa courtoisie raffinée, son extrême gentillesse et surtout son extraordinaire humilité, à l’instar de l’écrivain et critique Edmond Jaloux qui rappelait en 1927, que « chez Rilke on voyait d’abord un homme, ensuite un poète, et l’homme de lettres, au sens péjoratif du mot, ne paraissait jamais. Il y avait en lui du pèlerin qui cherche obscurément le chemin de la terre sainte et qui ne s’embarrasse d’aucun amour propre.»

De toute façon la rencontre physique n’était pas une nécessité aux yeux de la poétesse. Au contraire, elle préférait, par-dessus tout, la communication directe d’âme à âme, selon elle, les corps agissaient comme des filtres et en faussaient le rapport. « Mon mode préféré de relation se fait dans l’absence, en rêve : voir en rêve et deuxièmement - par correspondance », avait-elle confié à Pasternak, dans une de ses lettres.
« La lettre, une des formes de contact réalisables dans l’absence, est moins parfaite que le rêve mais les lois en sont les mêmes, précisait-elle, ni l’une, ni l’autre ne se font sur commande : on écrit une lettre et on fait un rêve non quand on le désire, mais quand la lettre désire s’écrire et le rêve désire être rêvée. »

Aussi, la lettre de Rilke ne représenta pas moins qu’une visite de son âme à la sienne. Elle compose, cisèle ses réponses dans la langue de Goethe qu’elle maîtrise depuis l’enfance. Elle le prévient toutefois : « […] vous sentirez toujours en moi une Russe, et moi, en vous, une manifestation purement humaine (divine). C’est l’écueil de notre nationalité trop individualisée : que tout ce qui est moi en nous soit appelé par les Européens, russe.»
Cela précisément ne pouvait manquer de séduire Rilke. La Russie tenait une place fondatrice dans sa mémoire. Au printemps 1899, il y avait voyagé avec son amie intime Lou Andréas-Salomé, et vécu à Moscou une expérience indélébile de pure révélation mystique, lors de la fête de Pâques. Ce fut la résurrection, à la source du Livre d’heures.

 Rilke, Lou Andréas-Salomé, Drozhzhin en Russie (1900)
« C’est là, que c’est formé ce sentiment, par l’expérience directe des heures de la vie, strophe après strophe, prière après prière, inspirés par des jours et des nuits emplis d’une inépuisable dévotion, se souvient l’amie Lou, de quatorze ans son aînée. On n’avait sans doute jamais encore écrit et prié ainsi : comme si prière et écriture n’avaient eu qu’à être en ne formant qu’un. Et cela s’accomplit au nom de Dieu, que Le Livre d’heures étend sur toutes choses, comme un manteau maternel à l’abri duquel même les plus petites choses sont baptisées et reçoivent un nom. »

La résurrection de Pâques moscovite dont parle Lou Andréas-Salomé, Rilke l’appelait la nouvelle, - celle de sa renaissance et, partant de l’affirmation de sa visée poétique, sa vision métaphysique -, d’une singulière grandeur, se souvint-il, dans une lettre de vœux écrite à Lou pour Pâques, en 1904, alors qu’il séjournait à Rome.

 « J’ai vécu Pâques une seule fois : jadis, dans cette longue nuit fiévreuse, surprenante, inouïe, alors que tout le peuple se pressait, et que l’Ivan Velikii résonnait en moi, coup après coup, dans l’obscurité. Telle fût ma Pâques, et je crois qu’elle suffira pour toute une vie ; la nouvelle m’a été donnée dans une nuit de Moscou, avec une singulière grandeur, elle m’est entrée dans le sang et dans le cœur. Je le sais à présent. (Joyeuses Pâques) ! »

En comparaison de Moscou, Rome l’avait déçu, sa manière ne lui correspondait pas. « Hélas, ce n’est
pas ici une ville pour Pâques, ni un pays qui sache se couronner de grandes cloches, tout est faste sans piété, mise en scène plutôt que fête. »

En Russie, – espèce d’Au-delà  tel que Tsvétaeva voyait son pays Rilke avait été surtout fasciné par un peuple. Il y avait noué de solides amitiés, au nombre desquelles le peintre Leonid Pasternak, père de Boris, l’origine même de la correspondance naissante avec Marina Tsvétaeva. « Ce miracle, tout de même : toi – la Russie – moi », applaudit la poétesse pour l’Ascension.
Le cercle était bouclé, un autre s’ouvrait. L’ultime cercle, cette fois, pour Rilke qui s’éteindrait à l’extrémité de l’année.

« Je vis ma vie en cercles de plus en plus grands
qui sur les choses s’étendent.
Peut-être ne pourrai-je achever le dernier
Mais je veux en faire l’essai.

Je tourne autour de Dieu, la Tour première…»
,

Rilke, avec Le Livre d’heures, – initialement intitulé Prières– marquait « le commencement de son œuvre », de sa maturité masculine et littéraire ; l’errance purement concentrée, humble, désintéressée s’était déjà profondément et durablement enracinée aux cieux, et René comme l’appelait sa bigote de mère était devenu Rainer.

Philippe Jaccottet, poète et chant français de Rilke, a clairement expliqué dans sa monographie, à propos du chercheur de Dieu du Livre d’heures, que ce que le poète
« nomme alors Dieu (à l’égard de quoi il sera infiniment plus réservé plus tard) est saisi par lui au plus intime de l’expérience poétique (qui est, comme le cloître, à la fois clôture et ouverture), que cela se confond avec la montée de la voix en lui ; il est vrai que ses images préférées, qui sillonnent l’œuvre de bout en bout, sont aussi, ou d’abord, les modèles d’un art poétique. Il faut seulement prendre garde à l’ordre des termes : au lieu de prétendre que Rilke, dès le Livre d’heures, réduit Dieu à la poésie, et fait aboutir le monde à un poème, il faut comprendre qu’il voit dans la poésie - en un temps où le sacré s’efface ou se dérobe - un mouvement vrai vers le Divin, et dans les images des signes du divin [...] »

Ce qu’il faut comprendre, dit Jaccottet, ce qu'il faut entendre, « c’est que le poème doit dire, par son existence au moins autant que par son énoncé :  'Il y a, d’une manière ou d’une autre, en dépit de toutes apparences, de l’Être ; il y a une Totalité à laquelle il nous arrive d’avoir part.'»

En ce printemps 1926, Rilke le phénomène naturel  – tant attendu –  communiquait avec  Tsvétaeva, avait part avec elle à la Totalité. Les courriers venus de Suisse étaient des bénédictions. Les ailes de Marina repoussaient, elle était aux anges. Les signes étaient divins.

La langue des poètes

Elle n’accomplit pas immédiatement la mission qu’à son tour lui avait confiée Rilke à destination du bienfaiteur qu’avait été Boris Pasternak pour elle – toutes les communications étaient coupées entre l’U.R.S.S et la Suisse –, et qu’elle évinça sciemment, un temps court seulement. C’était un péché, une traîtrise, c’était laid.

Le silence prolongé de Rilke, interprété comme une froideur de reproche à son égard, la faisait souffrir. Mais elle assumait toujours sa mauvaiseté, revendiquait depuis toujours sa nature de pécheresse.

« Je n’ai pas suivi la Loi, je n’ai pas communié.
Et jusqu’à l’heure dernière je pécherai
Comme j’ai péché et pécherai encore
Avec passion ! Par tous les sens que Dieu me donne.»


Pauvre Rilke, tellement loin du jeu, - ce luxueux loisir de la jeunesse et la santé -, lui, si près de la fin.
Boris Pasternak en 1924 –
Quand elle le réalisa, elle ressentit sans doute un peu de honte mais de remords, jamais, dit-elle. De fait, elle se confessa vite à Rilke, avouant être mauvaise, « Boris est bon. » 

Elle s’en expliquera, d’une autre manière, aussi directe et franche, avec Pasternak. « Pour mon Allemagne, il me faut Rilke tout entier. »

Dans une autre lettre à Pasternak, tandis que Rilke se taisait encore, elle avait évoqué la révélation que ce nouveau lien venait signaler de son propre destin poétique. « (Lui, je ne lui écris) Je jouis en ce moment de la paix de la perte absolue - son aspect divin - le refus. C’est venu tout seul. J’ai subitement compris. » Parler de lui, c’était penser à lui, encore parler avec lui, c’était être avec lui, l’invoquer peut-être. Elle avait besoin de lui, en Dieu.

Tous deux aimaient guetter des signes, interpréter les éléments quels qu’ils étaient. Ils les échangeaient, les discutaient, interprétaient tout, regardaient les choses avec une clairvoyance qui leur était propre, comme Rilke lut un oracle sur l’enveloppe Marina en y découvrant son signe fétiche. « St-Gilles-sur-Vie (survie !), quelqu’un a tracé un grand « sept » bleu, flatté (comme ça : 7 !), sept mon chiffre propice. L’Atlas a été ouvert […] et déjà tu es inscrite, Marina, sur ma carte intérieure […] »

Ainsi, Rilke avait été séduit par le feu poétique irradiant de Marina, et usant à son tour du tutoiement, il lui offrit cette formule merveilleuse, la langue pleine de vie, le verbe fougueux : « tous mes mots veulent courir vers toi en même temps, pas un qui accepte d’en laisser passer un autre devant lui. »

Rilke lui soufflait des pensées, des  rêves, de futurs poèmes, lui offrait une lecture nouvelle du mythe d’Orphée, l’éclairait de façon autre, inspirait des réflexions d’une dimension décuplée.

« Si tu savais à quel point je vois les Enfers ! Je dois être encore à un très bas degré de l’immortalité », avait-elle écrit à Pasternak. Elle venait de publier son grand cycle Après la Russie. Elle ne comprenait pas que le barde grec n’ait pu résister à se retourner sur Eurydice, imaginant que peut-être celle-ci n’avait plus voulu le suivre. Elle s’en ouvrait à Pasternak. Elle assumait toujours. Tout. Tout son être, toute son âme. Et cependant, si pudique sur la misère qu’elle affrontait, la dureté de son univers.

En 1922, elle avait expliqué considérer que « sa tâche », - quand elle s’était mise à écrire le Gars, inspiré du conte populaire russe Vampire d’A. N. Afanassiev -,  visait à « découvrir le sens, l’essence du conte, caché sous la structure. Le désensorceler »

Dans une lettre de 1915 à Ellen Delp, Rilke, lui, avait dit avoir compris sa tâche grâce à la découverte de Tolède, – à l’instar du Gréco qui en fit avant lui un somptueux tableau –, qui exerça sur son œuvre et sa vision du monde une influence d’une portée considérable.  

Alexandre Blok
« Apparition et vision coïncidaient en quelque sorte partout dans l’objet, un monde intérieur complet s’extériorisait en chacun d’eux, comme si un ange, qui englobe l’espace était aveugle et regardait en lui-même. Ce monde vu non plus de l'homme, mais en l'ange, est peut-être ma vraie tâche, du moins tous mes essais antérieurs convergeraient-ils en elle, mais pour l’entreprendre, Ellen, comme il faudrait être protégé et résolu ! »

A l’heure de la correspondance avec Rilke, Tsvétaeva venait de franchir un nouveau seuil d’exploration poétique et littéraire, sa quête était métaphysique et sa poésie en était imprégnée. Elle défiait la nature du temps, de l’espace, interrogeait le Verbe, – lave, passion en veine – elle était prête à l’écoute parfaite de la lyre de son nouveau prophète.

« Ce que j’attends de toi, Rainer ? Rien. Tout. Que tu m’accordes à tout instant de ma vie de lever les yeux vers toi - comme vers une montagne qui me protège (un ange gardien de pierre !). Tant que je ne te connaissais pas, c’était possible, maintenant que je te connais- il faut une permission. Car mon âme est bien élevée. »

Orphée, le poète absolu qu’elle espérait depuis toujours, l’élu du ciel qu’elle avait, par le passé, reconnu et vénéré en la personne du poète russe Alexandre Blok, s’était à présent incarné en Rilke.

L’attente d’Eurydice

L’épistolière de génie n’avait pas d’interlocuteur de telle envergure, à part Boris Pasternak, elle ne trouvait « personne de son calibre et sa puissance ». En conséquence, l’entrée de Rilke dans sa vie, écrivit-elle alors à Boris, n’était « pas une mince affaire ». D’évidence, il n’avait pas besoin d’elle, et elle en souffrait déjà. Elle craignait qu’il ne reconnaisse sa propre mesure, elle redoutait déjà de le perdre.

 «  Je ne suis pas moins grande que lui (dans l’avenir) mais je suis plus jeune. De plusieurs vies. La profondeur de la pente est mesure de l’altitude. Il est profondément penché vers moi, plus profondément que... peut-être (laissons cela !) – qu’ai-je senti ? Sa taille. Je la connaissais auparavant, maintenant, je l’ai sentie sur moi. Je lui ai écrit : je ne veux pas me diminuer, cela ne vous rendrait pas plus grand (ni moi plus petite) cela vous ferait seulement encore plus solitaire, car dans l’île où nous sommes nés, tout le monde est comme nous.»

L’exilée russe, soumise à la misère en terre étrangère, éloignée de sa culture et de ses liens affectifs, était plus que jamais en quête d’une communication d’exception, d’une connivence idéale, qu’elle savait en mesure de naître seulement entre deux grands poètes.

Les vers que Rilke lui avait dédiés d’emblée étaient marqués, par-delà le temps et l’espace, du sceau du destin d’autant qu’ils semblaient faire écho à ses propres vers du cycle de La Séparation, dans le recueil Le Métier publié en 1921:

« Lever les bras
Toujours plus haut !
Des verstes non terrestres
Nous séparent,
Ce sont des fleuves célestes, les terres azurées
De la séparation, là, où, mon ami, à jamais -
Reste mien. »


Elle croyait à « une relation supérieure entre les êtres, pour lesquels la vie concrète est en fait un obstacle, d’une communion des âmes qui se réalise mieux à distance et par-delà la mort. »  

Elle écrira plus tard, peu après la mort de Rilke, à son amie Anna Teskova, qu’« un Orphée allemand, c’est-à-dire, Orphée était apparu cette fois-là en Allemagne. Pas un poète (Rilke), mais l’essence même de la poésie. »

Des liens invisibles les unissaient depuis l’éternité. Pour le poète russe Joseph Brodsky, chez Tsvétaeva, « l’idée poétique de la vie éternelle dans l’ensemble relève davantage d’une cosmogonie que de théologie, et ce qui est souvent avancé en tant que mesure de l’âme n’est pas le degré de perfection essentielle pour parvenir à l’amour et la fusion avec le Créateur mais plutôt la durée et la distance physique (métaphysique) de ses errements dans le temps. En principe, la conception poétique de l’existence évite toute forme de finitude ou de stase, y compris toute apothéose théologique. » Et de souligner, non sans humour : «  En tout cas, le paradis de Dante est bien plus passionnant que sa version ecclésiastique. »

Elle voulait tant que Rilke, son Orphée la reconnaisse. Elle joignit à sa première lettre ses « livres les plus faciles, ceux de [sa] jeunesse », ses Vers à Blok de 1922, et Psyché Romantiques de 1923, dédicacée :

« A Rainer Maria Rilke, mon préféré entre tous sur terre, après la terre (au-dessus de la terre !) »

Orphée en Rilke s’était annoncé et, elle avait la plus grande foi en ce que son ouïe lui rapportait. « J’entends des voix qui me commandent […] », avait-elle expliqué dans son essai Le Poète et la critique. « Mon écriture consiste à prêter l’oreille. »

Et les mots dans son oreille disaient l’importance des Sonnets et des Elégies de Rilke qu’elle avait découvert avec ferveur et délice.

Rilke dans l’écriture et la poésie répondait, lui, à « une nécessité presque involontaire », un état singulier, « supérieur de la conscience », qu’il appelait « un dévouement » ou «une force irrésistible. »

Edmond Jaloux avait perçu dans l’ensemble de son œuvre, une même respiration, un même souffle, « le sentiment de l’amour et en même temps une sorte d’éloignement mystique de l’amour » qui s’expliquait, à son sens, par « ce dépouillement progressif par lequel il essayait de se rapprocher d’une vérité centrale qu’il a appelée Dieu pendant longtemps.»

Comme Abélone des Cahiers de Malte Laurids Brigge, il s’agissait pour Rilke « de penser avec son cœur, pour, insensiblement et sans intermédiaire, entrer en rapport avec Dieu » L’amour l’enchantait dans son inaccessibilité et son impossible satisfaction, à l’image de Dieu. En cela, l’identification à Orphée prenait tout son sens tragique.

Dans le même ordre d’idée, on sait que « Tsvétaeva voyait en Orphée une préfiguration de son propre destin de poète, mais elle aimait aussi dans ce mythe, la tragédie de l’amour  qui se termine par la deuxième mort de la nymphe, après qu’Orphée sortant avec elle de l’Hadès ait manqué de confiance.»

Par des coups d’aile, se rejoindre

Elle s’embrasa, bien sûr. Telle était sa nature, toute d'incandescence. « Que te dire de ton livre ? Le degré suprême. Mon lit changé en nuage.»

Son ciel brûlait plus que jamais, avec Rilke, ce grand soleil, en son milieu. « Ton destin  terrestre me concerne plus intimement encore que tes autres cheminements [...] », lui écrivit-elle pour l’Ascension, Himmelfahrt en allemand, soit le voyage dans le ciel.

La veille, Marina Tsvétaeva était revenue commenter la dédicace de Rilke, louant sa clairvoyance, lui offrant une pieuse pensée en retour. 

« Nous nous touchons, comment ? Par des coups d’aile. Rainer, Rainer, tu m’as dit cela sans me connaître, comme un aveugle (un voyant !), au petit bonheur. (Pas de meilleurs tireurs que les aveugles !)
Demain, c’est l’Ascension du Christ. Comme c’est beau. Le ciel dans ces mots ressemble à mon océan. Et le Christ - cingle. »

La vampiresse d’amour oscillait entre le tu et le vous, tantôt Orphée, tantôt Christ, cherchait à établir avec Rilke la plus intense et étroite communion.

« Sais-tu pourquoi je te tutoie et t’aime et... et... et... Parce que tu es une force. La chose la plus rare », avait-elle compris. Mieux. Le poète Rilke était le disciple de Dieu même, son favori : «  Dieu. Toi seul as dit à Dieu des choses nouvelles. Tu es expressément le rapport Jean-Jésus (inexprimé de part et d’autre). Mais - différence - tu es le préféré du Père, non du Fils, tu es le Jean de Dieu le Père (qui n’en a pas eu !). Tu as (élection dans les deux sens du mot) choisi le Père, parce qu’il était plus seul et - impossible à aimer ! »

Orphée était, selon certaines théories, le créateur du monde. « De l’enseignement orphique, les Romantiques ont retenu la notion d’une âme immortelle emprisonnée dans un cycle de naissance et de mort. Orphée, en tant que poète et prophète de cette religion, était le héros préféré de Rilke et Tsvétaeva », confirme Constantin Azadovski.

L’orphisme tendait au monothéisme et avait en partage avec le christianisme certaines conceptions telles que le péché originel, la purification, l’immortalité de l’âme, le Paradis, l’Enfer. Aussi, les premiers chrétiens avaient vu en Orphée, une forme d’annonce du Christ.

Rilke lui répondit avec bienveillance et belle ardeur. Le feu naturel de Tsvétaeva avait propagé sa lumière jusqu’à lui qui luttait contre la mort dans son sanatorium.

« Dans l’aujourd’hui éternel de l’esprit, aujourd’hui, Marina, je t’ai reçue dans mon cœur, dans ma conscience tout entière frémissant de toi, de ta venue […] Tu as plongé tes mains, Marina, tour à tour offrantes et jointes, tu as plongé tes mains dans mon cœur comme dans le bassin d’une fontaine ruisselante : et maintenant, aussi longtemps que tu les y garderas, le courant contenu coulera vers toi... Accepte-le.»

Elle insufflait espérance et vitalité à l’âme de Rilke. 

« Quelle force tu as, poétesse, pour pouvoir même dans cette langue, atteindre ton but, être précise, et toi-même Ton pas qui sonne aux marches, ta sonorité, toi. Ta légèreté, ton poids maîtrisé, offert. »

L’avènement d’Orphée

Le poète lui conta les circonstances de création des Elégies, dans l’« excès, meurtrier, de solitude » que lui avait coûté ces œuvres, mais récompensé par le sentiment d’avoir accompli « une chose bien trop infiniment totale». Il avait commencé les Elégies en 1912 à Duino, sur les bords de l’Adriatique, mais son élan créateur fut longuement tétanisé par « la grande interruption du monde ». Ce n’est qu’en 1921, en s’installant dans la paix du château de Muzot en Suisse, « enfermé dans un temps pur », que les Elégies avaient pu être composées dans leur totalité.

Muzot, ce pur miracle qu’il devait à l’amie Baladine Klossowska, cette « incitation plus forte qu’aucune autre, n’a permis que la réalisation, le saut, vertical, dans l’Ouvert, l’Ascension de toute la terre en moi... Chère, qu’ai-je besoin de te dire, quand tu as entre tes mains les Elégies, quand tu as les Elégies entre tes mains et au-dessus de ton cœur qui bat contre elles, complice...»

Paul Valéry avait vu juste, craignant pour lui, derrière les hautes murailles de Muzot,  « cette
transparence d’une vie trop égale qui à travers les jours identiques, laisse distinctement voir la mort ». Le 5 avril 1924, Valéry était allé visiter Rilke dans sa tour d’ivoire, et Rilke attendait Valéry, le « feu d’artifice ».
 

Rainer Maria Rilke et Paul Valéry
« Valéry, Rilke, c’est autre chose qu’une rencontre, c’est plus, ou si c’en est une, elle l’est dans la mesure où une arche rencontre en son faîte le versant d’une autre arche », avait ainsi joliment rappelé Monique Saint-Hélier, amie intime des trois dernières années d’existence de Rilke.

Marina Tsvétaeva rêvait d’aller, elle aussi, plonger son regard dans celui du poète, en compagnie de Boris Pasternak, là-bas dans les montagnes. « La Suisse a fermé ses frontières aux Russes. Mais il faudra que les montagnes s’écartent (ou se fendent !) pour nous laisser Boris et moi jusqu’à toi ! Je crois aux montagnes. (Ces mots dans ma variante – qui n’en est pas une vraiment, parce que nuits et montagnes riment – tu les as reconnus, n’est-ce pas ?)
»

Il s’agissait d’un écho au vers du Livre d’heures, « Je crois aux nuits » et, en même temps, de la formulation d’un vœu, d’un projet, auquel Rilke voulut croire aussi.

A vingt-et-un ans, il avait écrit dans une courte biographie : « Ma devise : Patior ut potiar. Pour le présent, je nourris une aspiration ardente à la lumière, pour l’avenir un espoir et une crainte. Espoir : paix intérieure et bonheur de créer. Crainte (hérédité nerveuse chargée) : folie ! »

 
La jeunesse désormais derrière, il était resté fidèle à sa devise. Son espoir merveilleusement réalisé, sa crainte en quelque sorte aussi. En grande souffrance physique, Rilke avait regagné le sanatorium de Val-Mont où il était soigné pour « une maladie du nerf ». En réalité, ce fut une maladie du sang.

En tête-à-tête avec la mort désormais, il feignait moins que jamais, et surtout ne mentait point à Marina Tsvétaeva, lui laissait entendre, avec pudeur, sa souffrance, évoquant seulement « les désaveux du corps qui le plongeaient dans le désarroi. »

Là, malgré la gravité de son état de santé qui se dégradait rapidement, il avait trouvé la force de composer l’Elégie à Marina Tsvétaeva, qu’elle reçut en juin 1926. L’enveloppe contenait aussi des photographies qui avaient été prises de Rilke l’année précédente à Muzot. Tsvétaeva avait demandé à connaître son visage, elle lui avait déjà envoyé un portrait d’elle.

 
Parmi les « petites photos » annotées que Rilke lui adressa, l’une d’elles interpela Tsvétaeva singulièrement, comme une prophétie qui donne rétrospectivement le frisson : « la plus petite – c’est un adieu. Quelqu’un qui part en voyage, quelqu’un qui jette encore un regard, apparemment furtif – les chevaux attendent déjà –sur son jardin, comme sur une page écrite, avant de partir. Qui ne s’arrache pas – mais se détache. Quelqu’un qui laisse tomber – doucement – tout un paysage. (Rainer, emmène-moi !) »

Tsvétaeva priait Orphée de la sortir des Enfers, de lui prendre la main, et la ramener chez elle au septième ciel, le paradis des poètes.



Un zeste de "Parade Jeunesse d'Eternité"

$
0
0
Guillaume en mars 1916 – Tête du premier chapitre de Parade Jeunesse d'Eternité  – Dessin Hélène Damville

Extrait du premier chapitre de Parade Jeunesse d'Eternité, roman, Zoé Balthus, paru le 11 janvier 2017, chez Gwen Catala Editeur


Conversation avec Ryoko Sekiguchi

$
0
0

Ryoko Sekiguchi (c) DR
Dans la première traduction française de l’essai de Tanizaki Jun'ichirô, intitulée Éloge de lOmbre, signée René Sieffert en 1977, les lecteurs francophones ont le sentiment d’accéder enfin à cette culture traditionnelle du Japon, où l’ombre constitue le plus grand raffinement de l’art de vivre mais aussi son séduisant mystère. Ryoko Sekiguchi, écrivain, poétesse, en donne une nouvelle traduction qui restitue la grande subtilité critique qui caractérise Tanizaki. Tout au long de sa méditation esthétique, menée sur le ton candide d’un nostalgique éclairé, ne s’inscrivait pas moins, en ombre chinoise, une critique sévère de la société japonaise par trop encline, à son goût, à céder aux sirènes de la modernité de l’Occident. Il ne manquait d’ailleurs pas de l’écharper au passage.
La moitié du fourbiQui a initié cette idée de nouvelle traduction du texte de Tanizaki ?

Ryoko Sekiguchi– L’idée est venue de moi. Il faut d’abord dire qu’à partir de cette année, les droits des œuvres de Tanizaki sont libres. Mais surtout, c’est vraiment mon auteur préféré. D’abord parce que c’est celui qui a le plus joué avec tous les genres romanesques. Bruine de neige est un roman de près de mille pages dans lequel il ne se passe absolument rien. Et pourtant, le livre fut interdit pendant la guerre. Non pas en raison d’une critique formulée contre la guerre mais bien parce qu’il ne se passait rien dans son roman… Car le temps de la paix, c’est cela : le temps où il ne se passe rien. 
[...] 


Egalement au sommaire


Pierrick de Chermont, Sylvie-E. Saliceti, Sylve Fabre G., Angèle Paoli, Anne-Lise Blanchard, Nolwenn Euzen, Thomas Vinau / Avec Guillevic  Mélikah Abdelmoumen / La deuxième marche  Anthony Poiraudeau / Un sang d’encre Romain Verger Revenir à Chauvet  Hélène Gaudy / Chambres noires  Sabine Huynh (texte), Maud Thiria Vinçon (dessin) / La main, le soleil et la mort  Zoé Balthus / A l’ombre de Tanizaki : conversation avec Ryoko Sekiguchi  Vincent Bontems / Les boîtes noires (sur l’écriture des Idées noires de la PhysiqueCaroline Boidé / Lettre à Grisélidis Réal  Adrien Absolu / Circulez, y a rien à voir  Frédéric Fiolof / Une question noire  Hugues Leroy / Noctem virumque cano  Nolwenn Brod (photographies) / Urphänomen  Ian Monk / L’œil de l’Oulipo : La nuit traversée  Stéphane Vanderhaeghe / Écrire dans le noir  Véronique Béland / On finit par un monde  Charles Robinson / 351 
Viewing all 64 articles
Browse latest View live